Chroniques trantoriennes

25 décembre 2006

Jean-Pierre Brard, ou l'art de marcher sur la tête

Avec Jean-Pierre Brard, plus ça va, moins ça va.

Sur le papier, le député-maire (apparenté communiste) de Montreuil est un spécialiste de la question sectaire.

Vice-président de la commission d'enquête sur les sectes à l'Assemblée nationale (1995), il fut également le principal rédacteur du rapport parlementaire Les sectes et l'argent (1999). Secrétaire de la commission parlementaire consacré aux enfants dans les sectes (2006), il est actuellement vice-président du groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale.

Mais en pratique, cet élogieux CV part en quenouille au gré des récurrentes tribunes médiatiques dont dispose M. Brard. L'homme est en effet coutumier des inepties juridiques et factuelles en la matière.

Par compassion, je me limiterai à la plus caractéristique d'entre elles. Ainsi, en juillet 1997, la Cour d'appel de Lyon reconnaissait à la Scientologie le droit de se prévaloir du titre de religion. Le dépité Brard avait ainsi commenté l'arrêt :
On pouvait attendre d'une cour de justice qu'elle protège la liberté des citoyens. Or c'est tout le contraire. (...) Cette décision prouve, une fois de plus, que l'Église de Scientologie dispose d'un véritable pouvoir dans les milieux économiques, politiques, administratifs, et, on le voit aujourd'hui, dans les milieux judiciaires.
Libération, 29 Juillet 1997,
propos recueillis par M.P. et F.W.-D. (avec AFP)

Bref, selon le député, le strict respect du principe constitutionnel de liberté religieuse était attentatoire aux libertés des citoyens. Et le parlementaire de tenter d'appuyer sa position en recourant à la théorie du complot…

La Cour de cassation eut à trancher dans cette affaire, notamment afin de dire le droit en dernier ressort quant à l'opportunité de définir la religion dans une décision pénale. Toutefois, la haute juridiction confirma en intégralité l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon. Et, à des fins d'apaisement, elle qualifia l'attendu controversé de « surabondant, dépourvu en l'espèce de toute portée juridique » (Cour de cassation, (chambre criminelle), 30 juin 1999). La presse et la classe politique dans leur ensemble y virent un camouflet pour les juges lyonnais. Il n'en était rien : le terme surabondant signifie superflu. Et si cet attendu n'a pas de portée juridique en la matière, c'est parce qu'il intervient dans une décision en matière pénale et non en droit public.

Il faut reconnaître à M. Brard une qualité : sa constance. Il est en effet l'un des rares parlementaires à évoquer continuellement le problème sectaire dans la presse. Mais il y a façon et façon de le faire. Et la sienne l'apparente aujourd'hui à Don Quichotte. Car M. Brard conserve du phénomène sectaire une approche gravement déficiente. Mais fort de cette qualité de "spécialiste", il peut tout à loisir véhiculer à travers la presse des idées fausses qui, à force d'être ressassées, deviennent des vérités officielles que l'on n'a plus le droit de transgresser sans passer pour un ahuri. La loi du 12 juin 2001, la liste noire du rapport de 1996,... J'en passe et des meilleures.

Mais cette fois, Jean-Pierre Brard dépasse les bornes. Son dernier communiqué de presse, au lendemain de la relaxe de Michel Tabachnik dans l'affaire OTS, laisse tout simplement pantois :
Quant aux circonstances du massacre du Vercors, elles ne sont pas davantage éclaircies à l'issue de ce procès. Les expertises effectuées sur les corps de l'épouse et de l'un des fils de l'ex-champion de ski Jean Vuarnet confirment la présence de doses élevées de phosphore et laissent donc supposer l'action de personnes extérieures au groupe des victimes.

Comme le demandent les familles, il faut rouvrir l'enquête et désigner un nouveau juge d'instruction. Des moyens plus importants doivent être alloués aux investigateurs, notamment pour explorer les volets financiers et mafieux de l'OTS.

Cette décision de justice ne clôt pas le dossier OTS. Elle ne fait qu'alourdir le sentiment d'opacité et d'impunité qui règne dans cette affaire.

Il faut saluer la démarche de Jean-Pierre Brard. Par ce simple communiqué, le député réussit l'exploit de :
  1. flinguer en plein vol les efforts des (vrais) spécialistes des sectes en général et de l'OTS en particulier,
  2. encourager les familles de victimes du massacre du Vercors à ne pas faire leur deuil ;
  3. abonder dans le sens des personnalités pro-sectes.

En effet, sous prétexte qu'il est un député de gauche, Brard saute sur le procès Tabachnik pour attaquer la droite en laissant entendre que le gouvernement a une nouvelle fois tenté d'enterrer le dossier du Temple Solaire, par le biais d'un « réquisitoire de l'avocat général, aussi irrésolu et imprécis qu'étrange ».

Le député se fait ainsi le chantre officiel de la théorie conspirationniste de l'assassinat politico-mafieux. Il redonne la parole aux plus incompétents "spécialistes" auto-proclamés de l'OTS. Rebondissant sur une tristement célèbre "expertise" (qui, soit dit en passant, n'était pas l'oeuvre d'un expert commis dans cette affaire !), M. Brard accrédite la thèse rocambolesque selon laquelle les doses de phosphore mesurées sur les lieux du drame ne peuvent s'expliquer que par l'intervention d'un commando d'assassins extérieur au groupe d'adeptes.

On poufferait de rire si l'on ne parlait pas de la mort de 16 personnes, dont des enfants. Car M. Brard est tombé dans le panneau qu'ont tendu certains avocats, spécialisés dans la transmutation de la famille éplorée en partie civile revancharde.

Psychologiquement, on peut expliquer en un mot pourquoi les familles de victimes ont donné tête première dans le piège : auto-persuasion. Elles ont en effet cotoyé les adeptes durant des années sans s'apercevoir de la profondeur de leur endoctrinement. Et lorsque le drame est survenu, elles ont eu le choix entre :

  • reconnaître qu'elles ont totalement manqué de discernement, qu'elles n'ont rien vu de la modification de la personnalité de leurs proches ; et donc que, par leur inaction, elles sont en partie responsables de ces morts tragiques ;
OU
  • se persuader que jamais ces êtres chers (qu'elles connaissaient forcément très bien) n'en seraient venus à de telles extrémités ; donc, ces morts sont forcément le fait de personnes étrangères au groupe.

Notre député pourfendeur de sectes ne s'est apparemment pas rendu compte que, dans son dernier communiqué, il sciait la branche sur laquelle il était assis : en demandant à la justice de rouvrir le dossier du massacre du Vercors, M. Brard déclare explicitement qu'il ne croit pas à l'assassinat-suicide collectif des adeptes de l'OTS. Pour lui, une secte ne peut pas dégénérer à ce point sans l'intervention de tiers mal intentionnés.

Donc, les sectes ne sont pas aussi dangereuses que l'on veut bien le dire. Mais dans ce cas, à quoi sert votre sacerdoce anti-sectes, M. Brard ? Vous rendez-vous bien compte que vous apportez ainsi de l'eau au moulin de ces universitaires négationnistes pour qui les sectes nocives n'existent pas ?

On peut légitimement se demander comment on peut se prétendre spécialiste de la question sectaire et se répandre en pareils commentaires. En fait, la réponse est simplissime. Il suffit de constater que, dans le cadre de ses attributions de parlementaire, M. Brard est actuellement :

  • Secrétaire et rapporteur spécial de la commission des finances de l'Assemblée
  • membre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
  • Vice-Président du groupe d'études sur la modernisation de la vie politique française
  • Vice-Président du groupe d'études sur les sectes
  • Membre des groupes d'études : 1- Construction et logement ;
    2- Déchets industriels, agricoles, ménagers ; 3- Eau ; 4- Énergies ; 5- Obésité ; 6- Santé et environnement ; 7- Toxicomanie
  • Président du groupe d'amitié France-Géorgie
  • Vice-président du groupe d'amitié France-Israël
  • Vice-président du groupe d'amitié France-Mali
  • Secrétaire du groupe d'amitié France-Congo
  • Membre du groupe d'amitié France-Allemagne
  • Membre du groupe d'amitié France-Japon
  • Secrétaire du groupe d'études à vocation internationale-Palestine

Tout ça en même temps, bien sûr. Alors, de deux choses l'une : soit M. Brard a trouvé un vortex espace-temps qui lui permet de faire des journées de 5638 heures, soit il brasse du vent et fait semblant de s'intéresser passionnément à chacun de ses sujets. Certes, il est clair que, médiatiquement, il a plus de poids avec les sectes qu'avec les amitiés franco-congolaises, mais force est de reconnaître que ce cumul des fonctions bat sérieusement en brèche la crédibilité de Jean-Pierre Brard en tant que spécialiste du phénomène sectaire.

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