Chroniques trantoriennes

10 avril 2008

Transfert... Autolargue !

Une interface peu fiable, un hébergement d'images limité, qui ne gère d'ailleurs plus les gif animés, des options de personnalisation minimales, j'en passe et des meilleures... C'est à se demander ce que les gens de Google sont en train de fabriquer avec Blogger, portant l'une des plate-formes de blogues les plus populaires. Mais aussi aujourd'hui l'une des moins conviviales.

Au vu du fossé qui est en train de se creuser entre Blogger et d'autres applications similaires, j'ai pris la décision de transférer le contenu de mon journal numérique sur Vox, une application en ligne dont j'ai eu l'occasion de dire ici même le plus grand bien.
Avec Vox, réaliser un blogue s'avère terriblement plus simple, notamment en ce qui concerne la mise en page, laquelle relève du casse-tête et oblige le blogueur un tant soit peu perfectionniste à mettre la tête sous le capot trop souvent et trop longtemps. Rien de tout cela ou presque avec Vox, qui intègre en outre une vaste palette d'outils de réseautage social.
Non, vraiment, il n'y a pas photo.

Mes Chroniques trantoriennes ont donc été intégralement, facilement et assez fidèlement importées par la redoutable machinerie de Six Apart (à qui on doit déjà TypePad et Movable Type).

Vous trouverez désormais mon blogue mis à jour à cette adresse :

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25 novembre 2007

À Montréal, un colloque franco-français de Français de France

Il y a quelques temps, dans les salons d'un grand hôtel du centre-ville de Montréal, j'ai assisté une série de conférences en rapport direct avec mes activités professionnelles, dans le cadre du Xème colloque des trucs-machins francophones. L'atelier avait pour thème La ... à l'ère des nouvelles technologies. C'est dire si cette conférence s'annonçait prometteuse. Ma déception n'en a été que plus grande.

Tout d'abord, les cinq intervenants dans leur ensemble ont brillé par leur incompréhension du thème de l'atelier, dont ils n'avaient apparemment pas lu le titre jusqu'à la fin. En effet, aucun des conférenciers n'a ne serait-ce que prononcé une seule fois le vocable "nouvelles technologies" !

Par trois fois, nous avons eu droit à un grand classique du PowerPoint de colloques internationaux: la présentation en bonne et due forme de l'organigramme de la structure à laquelle appartient le conférencier, laquelle a monopolisé la moitié du temps imparti aux intervenants. Il est vrai que ces derniers semblaient penser que le monde tournait autour de leur petite organisation « française d'expression française-française ».

Ceci expliquant cela, 4 des 5 conférenciers étaient en effet des Français et pas peu fiers de l'être. Paraphrasant malgré elle Salvador Dali, l'une d'entre eux a semblé nous dire « Au ... de Bordeaux, est le centre de la terre ». Un second a déblatéré sur le grand méchant État français qui se désengage du secteur et charge la mule des gestionnaires. Une troisième ne jurait que par une obscure structure au fin fond d'un incompréhensible organigramme de la sa Direction générale de rattachement. Un quatrième nous a expliqué comment sa société de sous-traitance faisait rondement tourner toute une méga-corporation francilienne.

Quant au 5ème intervenant, bien que d'origine maghrébine, il ne déparait pas le tableau : haut fonctionnaire d'une institution de l'ONU, sa plus notable sortie a été de nous expliquer avec l'allégresse du polytechnicien que sa direction de rattachement était la seule au sein de l'administration des Nations Unies à disposer, je cite, « d'un exécutif double ». Ce qui a fait résonner en moi le mot célèbre de M. Spock : « Fascinant…»

En fait, l'atelier aurait dû être sous-titré Comment l'esprit petit-fonctionnaire vint à des gestionnaires de haut niveau du secteur privé français.

Sur la forme, je passerai rapidement sur la qualité des PowerPoint présentés. D'une beauté et d'une convivialité qu'un Antrios ou qu'un Jackson Pollock sous acide n'auraient pas renié. Il faut toutefois reconnaître une vertu à ces présentations informatiques: leur incontestable valeur archéologique. Dans 2000 ans, les historiens de l'informatique qui les exhumeront des archives proto-numériques pourront qualifier les Français du début du XXIème siècle de Homo Neanderthalensis du PowerPoint. N'oublions pas que l'atelier portait – en théorie – sur les nouvelles technologies. Ça donne une idée…

Le PDG de ma corporation, assis deux rangs devant moi au milieu d'un public français à plus de 90 %, a fait l'économie d'un aller-retour à Paris. Notre société avait organisé cet été un congrès nord-américain au centre-ville de Montréal. Et l'on s'était alors gaussé de ces asti d'Américains qui avaient déserté les ateliers et conférences pour profiter du beau temps et goûter à la douce ambiance de Downtown Montreal. Mais il faut tout de même leur reconnaître qu'ils sont sortis de leur hôtel, eux. Ce que les Français du colloque francophone-franco-français n'ont certainement pas penser faire. Ainsi, ce seul vendredi après-midi, ils étaient bien trop occupés à trouver, au rez-de-chaussée de l'hôtel, une télévision pour pouvoir regarder un match de l'équipe de France de rugby... No comment.

Incongruité et narcissisme franco-français ont été à n'en point douter les maîtres mots de cette session. À mon palmarès Pourquoi j'ai quitté la France, les conférenciers de ce colloque font une entrée remarquée dans le Top 5.

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08 octobre 2007

Accomoder avec la réalité

Il y a des jours, comme ça, où le politicien ferait mieux de la fermer. Bon, d'accord, c'est vrai la majeure partie du temps. Mais parfois, il gagnerait vraiment à rester chez lui, débrancher le téléphone et l'internet, prendre deux anxiolytiques et attendre que la crise passe.

Dernière victime du syndrôme, la semaine dernière, M. Jacques Lemay, député et porte-parole du Parti Québécois en matière d'immigration. Dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, il accuse le gouvernement fédéral d'être la cause de la multiplication des demandes d'accommodements raisonnables :

[Les immigrants] arrivent dans une société francophone qui veut intégrer davantage sa population immigrante, mais de l’autre côté, le Canada prône le multiculturalisme. (...) Quand vous êtes dans un état dont le fondement est le multiculturalisme, qui exacerbe les différences, dont les différences religieuses, ce n’est pas étonnant qu’il y ait autant de demandes d’accommodements. (...) Si le Québec était un pays, il enverrait clairement le message aux immigrants qu’il est un État francophone, dont l’espace public est laïc et qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes.

Ah, ce gouvernement fédéral, c'est sûr, c'est à cause de lui si ça part en vrille. Forcément. Sauf que...

1 - M. Lemay semble oublier qu'il y a au Québec un machin... Comment ça s'appelle déjà ?... Ah oui, un ministère. Un ministère provincial de l'immigration, dit Immigration Québec. À quoi ça sert-tu, cette patente ? En deux mots, il se trouve que la province du Québec a obtenu du vilain-pas-beau gouvernement fédéral, à titre dérogatoire, le droit de choisir ses immigrants. C'est la procédure dite du Certificat de sélection du Québec. Une fois passé sous les fourches caudines d'Immigration Québec, le postulant à l'immigration n'a plus qu'à suivre une procédure allégée auprès d'Immigration Canada, portant uniquement sur le contrôle de son état de santé et de sa situation dans les fichiers de police de ses précédents pays de résidence.

Cela signifie que c'est bien Immigration Québec qui choisit ses immigrants, et non le vilain-pas-beau gouvernement fédéral.

2 - Il a été clairement établi que le Québec constitue une anomalie dans le système d'immigration canadien, en ce sens qu'il est plus facile pour les immigrants d'entrer légalement au Canada en passant par le système officiel québécois. Et pas seulement pour les francophones !

Or, il se trouve que le multiculturalisme est un aspect continuellement mis en avant par Immigration Québec. L'administration espère vraisemblablement que les non-francophones vont se mettre subitement à apprendre une langue étrangère - de surcroît difficile d'accès - en signe de reconnaissance.

La réalité est tout autre. En fait, on dénombre quantité d'immigrants non francophones qui immigrent au Québec pour aller s'installer rapidement dans d'autres provinces.

Par ailleurs, le Québec a cruellement besoin de l'immigration pour pallier une démographie moribonde. Or, il faut se souvenir que 2006 a été une année charnière sur le plan de la natalité : pour la première fois dans la province, le nombre des naissances d'enfants issus de parents immigrants a dépassé celui des naissances d'enfants issus de parents canadiens au Québec. Ça donne une idée...

Ce qui signifie que le Québec aura toujours besoin d'immigrants qu'ils soient francophones ou non. Et que si Immigration Québec se mettait à faire ce que M. Lemay prescrit en disant aux candidats à l'immigration "chez nous, on parle français, on ne tolère pas les inégalités homme-femme et on est une province laïque", on ne pourrait pas mieux s'y prendre pour flinguer la politique d'immigration du Québec.

Maintenant, de deux choses l'une :
  • soit M. Lemay ignore vraiment ces éléments. Auquel cas, il faut qu'il change illico d'affectation au sein du groupe PQ au Parlement;

  • soit il est au courant, ce qui, de la part du chargé des questions d'immigration au PQ, serait tout de même plus réconfortant pour la population québécoise. Dans ce cas, comment appelle-ton quelqu'un qui pense une chose et qui dit le contraire ?

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07 octobre 2007

Le changement de paradigme n'est pas pour demain

Il y a de cela quelques semaines, le GEMPPI, association de lutte contre les sectes sise à Marseille, publiait un communiqué de presse symptomatique des errements du landerneau anti-sectes français. Le président de l'association marseillaise, M. Didier Pachoud, y réagissait à un récent arrêt rendu par la Cour d'appel de Rouen. La juridiction venait en effet de condamner pour diffamation Mme Catherine Picard, présidente de l'UNADFI (principale association homologue). Dans une entrevue accordée à La Dépêche d'Evreux en octobre 2005, la conseillère régionale de Haute-Normandie avait en effet déclaré :
[Les Témoins de Jéhovah sont] structurés de manière pyramidale, comme tous les mouvements mafieux.

Je connais personnellement Mme Picard. Je suis très critique (et nous en avons déjà parlé ensemble) envers la loi du 12 juin 2001 sur les mouvements sectaires qu'elle a initiée et qui porte son nom. Cela ne m'empêche pas de trouver très courageuse sa décision de reprendre les rênes de l'UNADFI il y a quelques années, alors que l'association traversait une pénible période de luttes intestines qui avaient bien failli avoir raison de son existence. Mme Picard s'est retrouvé dans une situation qui ne lui a pas attiré que des amis et qui la place plus souvent qu'à son tour entre le marteau et l'enclume.

Mais ce genre de citation n'est certainement pas de nature à améliorer sa position. Il va bien falloir se décider à laisser tomber ces phrases à l'emporte-pièce qui donnent aux mouvements sectaires un boulevard judiciaire pour obtenir la condamnation de leurs détracteurs.

Cela nous conduit à l'argument de la Cour d'appel de Rouen qui a suscité le courroux du GEMPPI. Pour appuyer leur démonstration de la mauvaise foi de Mme Picard, les juges normands ont relevé que les Témoins de Jéhovah bénéficient du statut d'association cultuelle, fait que l'élue n'ignorait pas. L'association marseillaise voit dans cette décision rien moins que « la remise en cause du système de laïcité français » :
Les sectes utilisent l'octroi d'avantages fiscaux aux associations cultuelles que plusieurs de leurs structures ont reçu (sic) comme une reconnaissance officielle des institutions françaises de leurs associations comme des religions. Le pire c'est que les tribunaux interprètent eux-mêmes ces avantages octroyés comme une reconnaissance officielle des témoins de Jéhovah comme religion.

Il s'agirait d'être précis dans les termes employés. En effet, si une association d'information sur les sectes ne l'est pas, qui le sera ? La Miviludes (1) ? Non, je plaisante...

Les associations cultuelles ne sont pas des religions. La religion est une idée, un concept partagé par une communauté. La liberté de religion est un aspect de la liberté absolue de pensée.

L'église est pour sa part une assemblée de personnes qui se réunissent pour exprimer leur foi religieuse et ce, sous la forme d'un culte. La liberté de pratiquer ce culte est une composante de la liberté d'expression.

Quant à l'association cultuelle, il s'agit d'un groupe de personnes qui s'assemblent dans le but exclusif de subvenir à l'entretien d'un culte et ainsi de permettre aux fidèles de pratiquer ce culte.

En conséquence, relever qu'une organisation dispose du statut d'association cultuelle ne revient pas à conférer à ce groupe le statut de religion. Et pour cause : un tel statut n'existe pas en droit français. Les associations d'information sur les sectes feraient mieux d'intégrer sérieusement ce point dans leur stratégie de communication, plutôt que de pousser des cris d'orfraie dès qu'un juge prononce « association cultuelle ». Ainsi, selon le président du GEMPPI, la jurispruence initiée par la cour rouennaise :
...risque fort d'amener la France à concéder ces avantages à tous les groupes se constituant en association loi 1905 au nom de l'égalité de traitement, relativement à nos lois et avoir gain de cause, en cas de résistance des autorités françaises, devant les tribunaux européens. C'est une brèche que les sectes ne manqueront pas d'exploiter. (...) De plus, si l'Etat français "ne reconnaît et ne subventionne aucun culte", ces avantages fiscaux concédés aux uns, par rapport à d'autres qui ne les ont pas, peuvent être compris comme une forme de reconnaissance.

Le GEMPPI estime donc que l'État, en n'accordant des avantages fiscaux qu'à certains groupes, érige une discrimination entre les associations cultuelles et les autres associations. Une nouvelle fois, on constate l'incompréhension totale de la notion d'association cultuelle dans l'Hexagone, de la part d'une organisation qui devrait la connaître sur le bout des doigts.

Ainsi, en vertu du régime déclaratif qui préside à la création d'une association-loi 1901 en France (2), l'association est officiellement créée dès le depôt de ses statuts en (sous-)préfecture, pourvu que son objet déclaré ne soit pas illicite. Il en va de même pour les associations-loi 1905, qui sont des associations-loi 1901 un peu particulières. Ainsi, l'association cultuelle est créée dès le dépôt de ses statuts en (sous-)préfecture. A la condition que son objet déclaré consiste exclusivement en la pratique et/ou l'entretien d'un culte et que ces statuts mentionnent un nombre déterminé de membres fondateurs (3).

Dès lors, à peu près n'importe qui peut créer une association cultuelle et se prévaloir légalement de cette appellation tout-à-fait officielle. Par conséquent, n'importe quelle association cultuelle est éligible à demander une autorisation pour recevoir des dons et legs. Il lui suffit d'en faire la demande en préfecture. Et si l'enquête administrative établit que cette association :
  • a effectivement pour objet exclusif la pratique et/ou l'entretien d'un culte,
  • ne trouble pas l'ordre public,
elle peut obtenir le versement de ces dons et legs. C'est aussi bête que cela !

Le droit protège les sectes ? Si leurs détracteurs institutionnels s'intéressaient un minimum à la question, ils s'apercevraient que ce même droit s'applique à tous. Les Témoins de Jéhovah ont le droit de recevoir des dons et legs ? Qu'à cela ne tienne : votre Association cultuelle du Conseil des Jedi pour la Maîtrise de la Force, association-loi 1905, peut elle aussi s'en prévaloir ! Il suffit d'écrire un courrier à la préfecture... Alors, de grâce, arrêtons de verser dans le sensationnalisme et la théorie du complot.

Mais le président du GEMPPI va encore plus loin : il réclame que les avantages fiscaux octroyés dans le cadre de la loi de 1905 ne le soient qu'aux associations « qui l' (sic) obtinrent au départ ». En fait, ce qu'il veut dire sans oser l'écrire explicitement, c'est qu'il faudrait limiter l'application de la loi de 1905 aux associations cultuelles catholiques, voire protestantes. Autrement dit, lorsqu'elle s'applique aux sectes, la loi de 1905 rompt l'égalité républicaine. Mais pas quand elle ne s'applique qu'aux groupements chrétiens ! Bref, sans bien s'en rendre compte, M. Pachoud demande rien moins que l'abrogation de la loi de 1905. Mais ce faisant, on couperait les vivres aux institutions catholiques et protestantes. L'idée est alléchante, mais je ne pense pas qu'elle soit du goût de M. Pachoud. Dommage...

Le président du GEMPPI s'en prend ensuite à la notion de trouble à l'ordre public qui « est si floue qu'elle est difficilement exploitable ». Il souhaite que le concept soit clairement défini... sans pour autant se perdre dans les détails. L'idée est étonnante et elle mériterait à n'en point douter quelques explications.

En premier lieu, comment M. Pachoud entend-il préciser une notion sans la détailler ? Ensuite, s'il est vrai que le trouble à l'ordre public est une notion juridique à géométrie variable, il n'en demeure pas moins que tous les juristes s'accordent sur un point : le trouble à l'ordre public, c'est a minima la commission d'une infraction pénale.

Alors, M. Pachoud, au lieu de brailler "La loi est mal faite ! La loi est mal faite !", vous seriez mieux inspiré de chercher à la connaître et d'orienter votre action associative en conséquence. Quel trouble à l'ordre public peut-on reprocher aux Témoins de Jéhovah ?

  • De faire du porte-à-porte insistant ? Non.
  • De vendre des revues niaises aux illustrations qui semblent sorties d'un magazine des années 30 ? Non.
  • De ne pas porter à la connaissance des autorités des agressions sexuelles sur mineur ? Il y a là matière à s'interroger car la non-dénonciation de crime ou de mauvais traitements à enfant est un délit (articles 434-1 et 434-3 du Code pénal).
  • De faire pression sur un adepte hospitalisé nécessitant des transfusions sanguines pour qu'il refuse ce traitement, au risque d'en mourir ? N'y aurait-il pas là provocation au suicide (articles 223-13 et suivants du Code pénal) ?
Ne serait-il pas plus intéressant de faire réaliser des études juridiques, par des universitaires ou des praticiens du droit, afin de déterminer si oui ou non, les Témoins de Jéhovah troublent l'ordre public de cette façon ?

On a beaucoup critiqué Jean-Louis Langlais alors qu'il était président de la MIVILUDES, en soulignant son inaction sur le terrain. À raison. Mais ce que l'on ignore, c'est que ce haut-fonctionnaire était arrivé à la tête de la mission avec une foule d'idées proprement révolutionnaires, si on les compare à celles consternantes de son prédécesseur, le Monsieur-je-sais-tout-sur-les-sectes, j'ai nommé l'autocrate Alain Vivien. M. Langlais avait notamment la volonté de créer des liens privilégiés avec les facultés et de proposer des bourses d'études pour la réalisation de travaux universitaires sur le phénomène sectaire. Mais après s'être fait remonter les bretelles par Matignon (« Jean-Louis, t'es là seulement pour calmer le jeu ! »), les seuls liens que lui et la MIVILUDES allaient entretenir avec le milieu universitaire se limiteraient à faire intervenir des sociologues et historiens prosectaires patentés - enseignant dans deux écoles dites de Hautes Études - dans un séminaire officiel portant l'estampille "approuvé par le gouvernement français"(4). Bravo pour la bourde !

L'idée originelle de Jean-Louis Langlais demeure d'actualité et elle constitue à mon sens le seul moyen de se sortir des vieilles ornières institutionnelles qui consistent à parler des sectes par généralités entendues mille fois et susceptibles de condamnation pour diffamation. Malheureusement, ni la MIVILUDES, ni l'UNADFI et consorts ne semblent disposer à changer de paradigme.

Entre les Haro sur les sectes lancés tous azimuts par les associations, d'une part, et les Tout va très bien, Madame la Marquise des sociologues aveugles, sourds et malheureusement pas muets de l'Ecole pratique des hautes études d'autre part, il existe une troisième voie.

Les sectes nocives sont une réalité. Mais arrêtons de le hurler. Prouvons-le.
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(1) Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

(2) A l'exception des trois départements d'Alsace-Moselle.

(3) Ce nombre est fonction de la population de la commune dans laquelle l'association cultuelle établit son siège.

(4) Séminaire Sectes & laïcité, MIVILUDES & Ministère de la Recherche, 2003-2004.

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07 septembre 2007

Cassandre à 2.0 sous

Ignare mais fasciné, voilà qui résume assez bien mon état il y a encore une semaine à l'égard des récentes orientations de l'Internet. Comme quoi on a beau tenir un blogue et le personnaliser, on peut n'en demeurer pas moins à la traîne.

Désireux de monter une application professionnelle orientée communauté virtuelle, il me fallait donc impérativement me familiariser à titre personnel avec ces outils et concepts étranges portant des noms aussi poétiques que agrégateur de flux RSS, crowdsourcing, wiki et autres folksonomy. J'ai finalement sauté le pas et plongé dans le grand bain des nouvelles technologies de l'information.

J'ai ainsi découvert que, à l'image d'un Mounsieur Jourdain de l'ère numérique, je faisais déjà du web 2.0 sans le savoir. L'application que je développe actuellement répond en effet à la dénomination de mash-up.

Pour le reste, voilà belle lurette que j'ai recours au remarquable gestionnaire de favoris en ligne Del.icio.us (avec l'extension ad hoc pour Firefox, évidemment, parce que, avec Internet Explorer, ça revient à mettre un moteur de Porsche sur une De Dion-Bouton). Mais je n'utilise absolument pas son côté partage des favoris avec les internautes, fonctionnalité qui m'apparaît hautement superflue. Dans le même ordre d'idées, je reste totalement hermétique à Fuzz et autres Digg qui, au bout du compte, n'en viennent ni plus ni moins qu'à établir un hit-parade des liens Internet. Tout comme d'ailleurs Technorati qui propose en outre un moteur de recherche sur les blogs qui a la mauvaise habitude de ne jamais rien trouver de pertinent. Pendant ce temps-là, Google (et notamment son système Page Rank) fait tout ça bien mieux sans se limiter aux seuls blogs. Dans le genre inutile, j'ai aussi relevé Twitter, une sorte d'espace de mini-blogging afin de laisser savoir à sa communauté virtuelle ce que l'on est en train de faire en temps réel. Si vous avez moins de 15 ans, pourquoi pas ?

Mais si on veut bien faire abstraction de ces gadgets, on découvre que le Web 2.0 recèle d'autres applications proprement fascinantes.

C'est notamment le cas des gestionnaires d'espaces personnels et de communautés virtuelles. Un secteur qui n'est d'ailleurs pas épargné par l'évolution rapide des technologies. Ainsi, MySpace, précurseur créé en 2003, a beau compter 90 millions de membres, il est aujourd'hui totalement dépassé. Notamment par un produit qu'il ne vaut mieux pas mettre entre les mains d'un individu shooté au Web : la nouvelle plate-forme de blogue et de communauté virtuelle de Six Apart, j'ai nommé Vox.com : une vraie merveille de ressources, de convivialité et de flexibilité. Si vous devez commencer un blogue (et l'orienter communauté virtuelle) aujourd'hui, c'est là qu'il faut aller.

Dans le genre facteur de dépendance élevé, j'ai également découvert Netvibes, un agrégateur de flux RSS. Aha ! Kézaco ? En fait, il s'agit d'une page web (eh oui, c'est du Web 2.0) sur laquelle vous pouvez faire figurer un nombre quasi illimité de cases dans lesquelles apparaissent les nouveautés publiées sur n'importe quel site disposant d'un flux RSS. Vous savez, la petite icône orange, là, en dessous.

Le navigateur Firefox (qui fait ressembler Internet Explorer 7 à un boulier chinois déglingué) intègre ces flux directement à son interface, mais lorsque vous en avez plus d'une dizaine à gérer, mieux vaut disposer d'une page web spécialement dédiée. Et là, Netvibes fait remarquablement le boulot. J'avais un temps essayé d'utiliser la page similaire de Yahoo, mais ça m'avait vite gavé. Netvibes est d'un autre acabit.

Et après cela, je me suis lancé sur FaceBook. Alors là, Watch out ! Highly addictive app ! Vous êtes prévenus. Avec ce machin absolument redoutable, vous créez une page sur laquelle figurent votre état-civil, votre background scolaire et universitaire, votre secteur professionnel,... et vous pouvez ainsi retracer d'éventuels camarades de promo ou de boulot qui auraient eu la même (bonne) idée de se créer un profil sur le site. Via une kyrielle de groupes, tout internaute peut rejoindre une assemblée de personnes qui partagent ses goûts,... Bref, vous créez et/ou développez votre communauté virtuelle et y restez connecté. FaceBook propose également des greffons (1) tels que iLike, Flickster et TVshows, grâce auxquels vous présentez à vos relations numériques vos musiques, films et séries TV préférés. Ma communauté est pour l'heure des plus restreintes, mais FaceBook m'a déjà sérieusement accroché.

On l'aura compris, cet outil est fascinant. Et en tant que produit révolutionnaire, il s'attire bien évidemment les foudres d'une cohorte de braillards désinformés. Souvenez-vous, il y a 10 ans : Internet, le grand Satan. C'étaient déjà eux. Que nous hurlent aujourd'hui aux oreilles ces rabat-joie patentés, nostalgiques du télégraphe et consultants en sécurité à la petite semaine ?

« Attention ! FaceBook, Ah la la ! Pas bien ! Mauvais ! Belzébuth s'est déguisé en paquets de 0 et de 1 !
- Allons bon, expliquez-moi donc ça.
- Eh ben, lorsque vous insérez des détails concernant votre identité dans votre profil FaceBook, des internautes malintentionnés pourraient les relever pour usurper votre identité.
- Vous avez des exemples à nous donner des ravages de l'usurpation d'identité ?
- Euh, non. Mais c'est vachement grave...»

Voilà de jolies paroles bien insensées de la part de personnes bien incultes. Un peu comme si je hurlais à la cantonnade : « L'énigme du chat de Schrödinger est une arnaque ! » À moi, cons, deux mots.

1 - Tout d'abord, votre profil FaceBook n'apparaît qu'aux personnes que vous avez autorisées à intégrer votre communauté. Ensuite, vous pouvez librement déterminer quels détails de votre profil apparaîtra aux membres de ladite communauté (3 niveaux possibles : tout le monde, réseaux, amis). Quant à l'onglet privacy, il permet de gérer de façon très complète la confidentialité de ces données.

2 - Il y a 25 ans, Coluche nous parlait des « cons qui laveraient le linge à l'eau sale ». FaceBook nous fait découvrir les cons qui mettraient ouvertement en ligne :
  • leur numéro de carte de crédit,
  • leur code secret,
  • leur adresse physique,
  • l'endroit où ils cachent la clef de secours, dans le pot de fleurs, là, sur la fenêtre, à gauche de la porte d'entrée,
  • les horaires durant lesquels ils sont absents de chez eux.
Il est vrai que l'usurpation d'identité est une forme de criminalité à prendre attentivement en considération. Mais au lieu de crier au loup, on ferait mieux d'expliquer en quoi c'est une menace. En substance, les journaleux nous disent ceci :

« Attention !!!
- Quoi ! Qu'est-ce qu'il y a ?
- Ben attention.
- À quoi ?
- À rien.
- Ben, pourquoi tu me dis de faire attention ?
- Pour rien... Non, mais fais gaffe quand même...»

Ils voudraient qu'on soit intelligent et ils nous prennent pour des cons.

nous disait le même visionnaire Coluche.

Pendant ce temps là, ces conseilleurs-mais-pas-payeurs laissent en évidence le recto de leur carte de crédit sur les tables des cafés, ne cachent pas le clavier du terminal de paiement lorsqu'ils tapent leur code secret, balancent dans les poubelles publiques leur ticket carte bleue sitôt leurs emplettes achevées,... Mais rassurez-vous : s'ils sont victimes d'une fraude aux moyens de paiement, ce sera la faute à Internet, au cours du dollar australien et à la précession des équinoxes.

FaceBook est un outil étonnant et sûr, pourvu qu'on ait trois neurones. Si vous n'en avez que deux, là, effectivement, il y a un risque.
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(1) En français de France : plug-ins.

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02 septembre 2007

Les impensées de Pascal 2

ou

Le retour du sodomite de diptères.

Résumé des épisodes précédents : ici.

Eh oui, cher ami lecteur. Vous l'aviez cru disparu dans un vallon du Valais ou au large de Mourmansk. Mais non, Pascal Bonvin is back. Avec un commentaire comme on les aime. J'avais songé au départ lui répondre par un long commentaire. Mais, comme disent les Têtes à Claques, « ça va faire, le niaisage ! »(1). Et surtout, je me suis aperçu qu'un certain nombre de mes lecteurs réguliers ne comprenaient tout simplement pas la motivation ni le but des interventions récurrentes dudit Pascal. Il est vrai que, vu de l'extérieur, l'individu peut surprendre. Ainsi, suite à mon billet sur Yves Boisset et l'OTS, il m'écrivait ceci :

Bonjour,
Pourriez-vous en dire un peu plus sur la "théorie de l’innocuité des sectes" ? Je n’en ai jamais entendu parler. J’ai bien entendu des gens mettre en doute la pertinence de l’idéologie dite "anti-sectes", laquelle veut que les "sectes" soient dangereuses "par définition", mais guère de gens sensés défendre l’idée que les "sectes" soient tout aussi "par définition" parfaitement inoffensives. Sachant que nul n’ignore qu’un mouvement religieux, grand ou petit, est capable du pire comme du meilleur, la "théorie de l’innocuité des sectes", comme vous l’appelez, ainsi que son contraire, ne peuvent être défendues (sic) que par des gens peu sérieux. Raison pour laquelle j’aimerais bien en savoir un peu plus sur cette « théorie ». Merci et bien à vous.

À la lecture de ces lignes, toute personne non versée dans le phénomène sectaire aurait tôt fait de penser : Mais il est con, ou quoi ?

Non, cher lecteur, Pascal Bonvin n'est pas con. Il sait parfaitement ce qu'il fait. Et je m'en vais vous dresser une esquisse du personnage qui vous le fera comprendre.

Pascal Bonvin est un internaute suisse trentenaire qui s'intéresse aux sectes de façon purement théorique. Pour lui, la connaissance du phénomène sectaire se cantonne aux écrits d'un certain nombre d'universitaires bien connus du landerneau pour leurs prises de position favorables aux sectes. Pascal présente ainsi sur son blogue (2) les couvertures des livres qui ont forgé son opinion en la matière.

Je vous rassure tout de suite, nul besoin de vous avaler tous ces bouquins hautement indigestes (j'en parle en connaissance de cause...) pour en tirer la substantifique moëlle. Car sous vos yeux éblouis, cher lecteur, je vais faire passer 10 000 pages dans la fameuse machine à décrypter la langue de bois des politiciens imaginée par Isaac Asimov dans Fondation. Ainsi, la teneur de ces ouvrages peut être résumée ainsi :

Les groupes que l'on désigne communément par le terme de "sectes" ne sont que des nouveaux mouvements religieux (NMR). Dans leur immense majorité inoffensifs, ils ne doivent en aucun cas être stigmatisés mais au contraire bénéficier d'une égalité de traitement vis à vis des autres mouvements religieux majoritaires ou plus anciens. Seules les sectes qui violent la loi doivent être poursuivies et ce, au même titre que n'importe quelle autre personne physique ou morale. Mais l'expérience montre que ces hypothèses de sectes délinquantes sont extrêmement rares. Ainsi, l'ostracisme qui frappe les mouvements dits sectaires et ce, dans l'opinion publique ou les cabinets de la haute administration, doit être systématiquement combattu.

Il est vrai que le péril sectaire est omniprésent dans la presse. Avec souvent force subjectivité et une impressionnante méconnaissance du sujet. Ainsi, l'individu lambda a généralement bien conscience que les sectes peuvent être dangereuses. Il ne sait pas comment, ni pourquoi, mais il considère qu'il y a là un problème de société. C'est la position d'une grande majorité de la population.

Maintenant, la question à 5 000 Francs suisses : Comment sortir du lot quand on pense la même chose que la multitude ?

La réponse est simple : faire en sorte, malgré tout, de penser le contraire de ce que pense la plèbe.

Voilà donc où en est rendu Pascal Bonvin : à ce que les économistes et les sociologues désignent sous le vocable effet de snobisme. Par chance pour Pascal, il existe déjà un prêt-à-penser, un pack complet du parfait petit prosectaire : une littérature imposante bien que totalement redondante, due à un consortium d'universitaires versés dans la citation et la congratulation en cycle fermé. Le tout piloté par le Centre d'études sur les nouvelles religions (CESNUR), organisme fondé par des dignitaires du Vatican dans le but de lutter contre la laïcisation des pays européens.

Après tout, se dit notre Pascal, si des universitaires (bardés de titres et distinctions aussi ronflants que professeur, agrégé, directeur de recherches,...) disent que les sectes ne sont pas dangereuses, l'apprenti snobinard ne risque pas grand chose à dire comme eux : la caution de la communauté scientifique joue en sa faveur.

Il faut toutefois reconnaître à Pascal Bonvin une vertu : l'originalité de son style. En effet, son mode d'attaque consiste à titiller les personnes identifiées comme antisectaires et à les pousser à la faute ou à l'abandon de la discussion. Mathieu Cossu et Roger Gonnet, webmestres respectifs des sites Prevensectes et Antisectes.net, ont ainsi laissé tomber assez rapidement le pseudo-dialogue amorcé. On les comprend : ils avaient autre chose à faire que de répondre à des questions malintentionnées qui n'avaient pour but que de les piéger. La preuve : sitôt qu'il s'est vu en vainqueur par jet de l'éponge, Pascal s'est empressé de rendre compte de ces hauts faits sur les pages de son propre blogue. Vous avez dit : adolescent immature ?

Tombé ensuite sur mon journal électronique, Pascal s'étonne tout d'abord de mon approche originale : ouvertement opposé aux naïfs (ou supposés tels) prosectaires, je ne ménage pas mes critiques envers les antisectes lorsque leur paradigme ou leurs opinions relèvent de l'idiotie pure et simple. Mais comme j'ai ouvertement prouvé la dangerosité de l'Église de scientologie en France et ce, dans une thèse de doctorat en droit privé et sciences criminelles, cela fait de moi, aux yeux de Pascal, un dangereux antisectaire. Il fourbit donc ses armes et passe à l'attaque.

Alternant flatterie et naïveté feinte, il va tenter de me déstabiliser sur un sujet que je possède parfaitement. Aussi, la compulsation effrénée de sa littérature-de-référence-qui-se-mord-la-queue ne lui est d'aucun secours : je ne rentre pas dans les cases prédéterminées par les doctes sociologues du CESNUR. Je renvoie donc l'Helvète dans ses 22 mètres à plusieurs reprises.

Pascal va alors changer de tactique : il se met à me prêter des propos totalement erronés en les fustigeant. À raison : les opinions qu'il me prête sont effectivement stupides ! Me fendant pour l'occasion d'un article sur ce blog, je me fais une joie de le renvoyer dans ses alpages. Contraint à l'abandon, il tentera de sauver les apparences... en changeant de sujet.

Mais suite à mon récent billet consacré à Yves Boisset et l'OTS, Pascal croit tenir enfin l'occasion de me coincer, de me prendre en défaut. Renonçant à l'attaque frontale, il reprend le ton badin d'un Candide ou d'un Rica qui, par hasard, met le doigt là où ça fait mal. Mais son commentaire prouve, s'il en était encore besoin, que n'est pas Voltaire ou Montesquieu qui veut !

Ainsi, Pascal dit avoir découvert, via mon article, l'existence de ce que j'appelle la « théorie de l'innocuité des sectes ». Que cherche-t-il à montrer de la sorte ? J'y viens.

Pour lui, lorsqu'une secte a un comportement répréhensible, elle doit être poursuivie en justice. Et dans ce cas, il faudrait être un bel abruti pour défendre la théorie de l'innocuité d'une telle secte. Par là même, il sous-entend qu'il faudrait également être un beau crétin pour prétendre que, dans ces conditions, certains universitaires défendraient une telle thèse qui va à l'encontre du bon sens.

Autrement dit, Pascal me fait passer le message suivant : « M. Palisson, votre soi-disant théorie de l'innocuité des sectes ne tient pas debout. Vous avez fait une erreur. Voyons maintenant comment vous allez vous enferrez dans des explications boîteuses que je me ferai une joie de torpiller dans des commentaires ultérieurs. Ensuite, j'irai m'en vanter sur mon blogue.»

Il s'attend donc à ce que je lui réponde : « Ah euh... Non, euh... C'est pas ce que je voulais dire, je me suis mal exprimé... ». Sauf que j'assume entièrement ce que j'ai écrit et je m'en vais vous expliquer l'erreur qu'il a, lui, commise.

Remarquons tout d'abord l'impressionnant esprit scientifique dont Pascal fait état en déclarant péremptoirement : « nul n’ignore que...» : ah ! le bon vieux syndrôme du Tout le monde sait que... Celui grâce auquel même le plus ignorant peut se donner des airs de spécialiste. Je ne voudrais pas avoir l'air de lui souffler le chaud et le froid, mais Pascal m'avait habitué à mieux...

Je ferais ensuite remarquer que j'ai évoqué une théorie de l'innocuité des sectes, et non une théorie de l'innocuité des sectes nocives. Et c'est sur ce petit adjectif qualificatif qu'achoppe la tentative de déstabilisation de Pascal. Il faudrait effectivement être limité intellectuellement pour prétendre que des universitaires défendent une théorie de l'innocuité de sectes nocives, l'intitulé lui-même relevant du paradoxe. Et Pascal ne peut pas prétendre que j'ai omis de préciser la subtilité : en effet, il est largement familiarisé avec ma notion de secte nocive, que je lui ai expliqué plusieurs fois déjà !


Quid de la théorie de l'innocuité des sectes ? (3)

Pour un certain nombre d'universitaires (juristes, sociologues et historiens des religions), les sectes nocives se réduisent à la portion congrue. Ainsi, tout leur argumentaire se limite à conspuer les associations et les gouvernements qui font de la chasse aux sectes une priorité ou, tout du moins, un objectif. Alors que d'autres fléaux sociaux méritent, eux, toute l'attention des politiques. Les sectes ne seraient que des organisations religieuses minoritaires qui, en vertu de la liberté religieuse et du contexte de laïcité, ne devraient aucunement susciter la réprobation a priori de la classe dirigeante. Ce postulat est à mon sens bien meilleur que celui qui consiste à considérer a priori les sectes comme dangereuses : la présomption d'innocence impose que l'on démontre la dangerosité desdites sectes. En d'autres termes, l'innocuité ne peut pas se démontrer mais seulement se postuler. La dangerosité, c'est exactement le contraire.

Le problème est que le discours de ces universitaires relève véritablement d'un dogme (c'est en ce sens que l'on peut parler de prosectarisme). Ainsi, dès que survient un événement établissant que les sectes nocives sont une réalité plus présente qu'ils veulent le faire croire, ces universitaires, loin de remettre en cause leur credo, s'enferrent toujours plus loin dans le négationnisme. Leur discours prosectaire se résume à ceci : les sectes nocives sont rarissimes. Point final. Et chaque fait qui prouve à l'évidence le contraire est alors pris en considération de deux manières possibles :

1) le drame sectaire est en fait la résultante d'une conspiration gouvernementale

Il suffit, pour s'en convaincre, de consulter la position des universitaires du CESNUR et autres groupes prosectaires qui, forts de leurs titres de professeurs de d'histoire ou de sociologie des religions s'érigent en détenteurs de la vérité, méprisant ces pauvres abrutis d'individus lambda qui croient ce que leur dit la justice :
  • le massacre de Jonestown en 1978. Vous pensiez que les 913 morts étaient le fait de la folie du gourou Jim Jones ? Que vous êtes naïfs, plébéiens ! Il s'agit en fait d'une conspiration du gouvernement américain ! (4)
  • le massacre de Waco au Texas, en 1993 : les 79 morts auraient été orchestrées par le leader charismatique David Koresh ? Bien sûr que non : c'est une conspiration de la police fédérale ! Et les 4 policiers tués l'ont été par les insurgés en état de légitime défense ! (5)
  • les attentats du métro de Tokyo en 1995 : fomentés par les adeptes de la secte Aum Shinri-Kyo, croyez-vous ? Mais non, sombres crétins, c'est une complot de la police japonaise ! (6)
  • le suicide collectif projeté par le groupe Néo-Phare, à Nantes en 2003 ? Pauvres idiots congénitaux qui n'êtes même pas agrégés ! Il s'agit en fait d'une invention de l'institution judiciaire et des services de renseignements français ! (7)
D'un autre côté, s'il s'avère trop évident que le gouvernement n'est pas impliqué dans le drame, les universitaires prosectaires déclarent alors que :

2) le drame sectaire n'est qu'un fait isolé, une exception qui confirme la règle.

Ainsi, en 1997, après le suicide de 39 adeptes de la secte californienne Heaven's Gate, les prosectaires auraient bien aimé pouvoir accuser un commando de la CIA : le groupe soucoupiste aurait été éliminé car il annonçait l'arrivée des extraterrestres, ce que le gouvernement américain ne pouvait pas permettre. Mais c'aurait été un peu gros... Or, selon le dogme cesnurien, une secte ne saurait en aucun cas être considérée comme responsable d'un pareil massacre. Comment donc parer l'évidence ? Simple : il suffira de prétendre que l'on est ici en présence d'actes mûrement réfléchis de la part de personnes saines d'esprit ayant agi de leur propre chef sans aucune pression du groupe.(8)

En conséquence, c'est légitimement que j'ai évoqué une théorie de l'innocuité des sectes.

Note : tandis que je rédigeais ce billet, Pascal s'est fendu de 2 nouveaux commentaires, particulièrement révélateurs de la duplicité du personnage. Il s'y livre à une logorrhée difficilement compréhensible où la cécité le dispute au mensonge éhonté, où l'énervement cotoie l'impuissance. Je compatis à sa frustration : comme il doit être pénible de se masturber intellectuellement, encore et encore, sans jamais jouir !
_________________________________________

(1) En français de France : ça suffit, les conneries.

(2) Pour l'heure, je ne trouve plus trace de son blogue sur le Web...

(3) Sans adjectif qualificatif, donc au sens général du terme. Le dictionnaire de l'Académie française donne du mot secte la définition suivante : groupement de personnes qui suivent les mêmes opinions, qui font profession d'une même doctrine philosophique. (...) Il se dit aussi, en matière de religion, de groupements constitués à l'écart d'une Église pour soutenir des opinions théologiques particulières.»

(4) Nancy T. Ammerman, Report to the Justice and Treasury Departments Regarding law enforcement interaction with the Branch Davidians in Waco, Texas - Recommendations of Experts for Improvement in Federal Law Enforcement after Waco, U.S. Department of Justice and U.S. Department of the Treasury, Washington, DC: Government Printing Office, 1993, § III-8.

(5) Massimo Introvigne, Che cosa è veramente accaduto a Waco, revue Cristianità, no 217, 1993, p.3.

(6) T.R. Reid, Tokyo cult finds an unlikely supporter, The Washington Post, 5 mai 1995 ; Teresa Watanabe, Alleged Persecution of Cult Investigated, The Los Angeles Times, 6 mai 1995.

(7) Susan J. Palmer, France's About-Picard Law and Neo-Phare: The First Application of "Abus de Faiblesse (short version), disponible également en version française, CESNUR 2006 International Conference, San Diego State University, San Diego, California, 13-16 juillet 2006.

(8) Jeffrey Hadden, Heaven's Gate - Profile of the group, The Religious Movements Homepage Project @ The University of Virginia.

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27 août 2007

Dis-le à tout le monde

Ne le dis à personne, le second film réalisé par Guillaume Canet, est impressionnant à plus d'un titre.

Son casting tout d'abord : Dussolier, Rochefort, Baye, Scott-Thomas, Berléand, Croze, Cluzet.

La direction d'acteurs ensuite. Certes, Canet n'a pas su tirer tout profit de deux monstres sacrés. Ainsi, André Dussolier est parfois en surjeu (un comble) ; quant à Jean Rochefort, il n'est pas parfaitement en ligne avec son personnage, mais plier le moustachu à ses désirs confine souvent pour le metteur en scène au travail de titan (cf. interview de Francis Veber in La saga Pignon, DVD du film Le Placard). En revanche, pour le reste de la distribution, c'est du tout bon. Mention spéciale à Nathalie Baye et surtout François Cluzet qui, pour la première fois de sa carrière, ne fait pas du François Cluzet. On est loin de ses prestations sympathiques mais régulièrement décalquées d'un film à l'autre (pour résumer le reste de sa carrière, voir l'excellent Associations de malfaiteurs de Claude Zidi). Entre les mains de Guillaume Canet, Cluzet explose.

La réalisation est du meilleur effet. Sobre et efficace, comme il se doit pour un thriller. Canet refuse le tape-à-l'oeil qu'un tel sujet aurait pu suggérer à un jeune metteur en scène désireux de se faire une place chez les grands. Au lieu de cela, une mise en image claire, parsemée de quelques effets discrets généralement bienvenus.

Mais ce qui impressionne le plus est sans le moindre doute le sens de l'adaptation dont font preuve Guillaume Canet et son co-scénariste Philippe Lefebvre.

Car le livre d'Harlan Coben est d'une complexité redoutable. Bien des auteurs français seraient tombés dans le piège du film de 3 heures sérieusement alambiqué. Canet, lui, fait simple. En deux heures, il livre un script toujours clair, ne se prend jamais les pieds dans les nombreux flashbacks (ça, c'est un signe) et présente une floppée de personnages toujours parfaitement caractérisés (ça, c'en est un autre).


Seule fausse note (c'est le cas de le dire) : la musique de M sent l'accroche marketing à plein nez. Mais surtout, à vouloir faire branchouille à tout prix, la production a engagé le musicien phénomène du moment - M au générique, c'est 300 000 spectateurs de plus assurés - sans s'être demandé si le choix était judicieux. La réponse est clairement non.

Si l'on avait pu croire que le succès d'estime de Mon idole, première réalisation de Guillaume Canet, relevait de la chance du débutant, on sait aujourd'hui qu'il n'en était rien. Au rayon Thriller français qui a quelque chose à raconter, Jacques Audiard a enfin de la concurrence.

Par un étrange phénomène de vases communicants, à la montée en puissance d'un jeune metteur en scène correspond la chute d'un vétéran du cinéma français, en l'occurrence Régis Wargnier. Celui qui nous a donné La femme de ma vie, Indochine, Est-Ouest nous livre cette année Pars vite et reviens tard.

Adapté lui aussi d'un polar signé par un écrivain à succès (Fred Vargas, autre auteur branchouille à souhait), le scénario écrit à dix mains (déjà, ça, ce n'est pas bon signe...) cumule des personnages proprement ridicules, des situations abracadabrantes, des données scientifiques erronées. Je ne parle même pas de la façon de dépeindre la Police nationale qui relève du grotesque le plus échevelé. A côté, 36, Quai des Orfèvres, c'est parole d'évangile (c'est dire...). Ajoutez à cela des dialogues à se taper le cul par terre de niaiserie, et vous avez déjà une bonne idée générale du film.

Mais ce n'est pas tout. Car côté réalisation, ce n'est guère plus reluisant. La direction d'acteurs est épouvantable (de la part de celui qui a quasiment appris à jouer à Catherine Deneuve, c'est un comble). José Garcia est mauvais, Lucas Belvaux itou, Michel Serrault (oui, Michel Serrault !) n'est pas bon. A part Olivier Gourmet, c'est un zéro pointé. Quant à la mise en scène erratique, elle porte à son comble un agacement qui nous rappelle pourquoi, parfois, on n'aime vraiment pas le cinéma français. En deux mots : un navet.

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22 août 2007

Il est con, çui-là...

Dans la série Rappelez-moi pourquoi j'ai quitté la France, une petite anecdote qui en dit long sur certains de mes compatriotes.

Hier, je me suis rendu au Consulat général de France à Montréal pour deux affaires. Dans la salle d'attente depuis 30 minutes, je suis enfin appelé pour ma première demande et reçu par la vice-consule en personne (j'en suis d'ailleurs le premier surpris).

15 minutes plus tard, je retourne en salle d'attente pour ma seconde affaire : des photocopies certifiées conformes de documents officiels français. Après avoir patienté encore un quart d'heure, la préposée de la caisse m'appelle. Je me rends au guichet. Commence alors un court dialogue, tout en sous-texte.

LA FONCTIONNAIRE (un brin arrogante)
Vous étiez où ?

MOI (quelque peu interloqué)
Comment ?

LA FONCTIONNAIRE (toujours un brin arrogante)
Vous étiez où ? Je vous ai déjà appelé tout à l'heure.

MOI (me penchant ostensiblement vers elle)
J'étais avec la vice-consul.

LA FONCTIONNAIRE (air soudainement contrit)
...

Même résident à l'étranger, le petit fonctionnaire français vit dans sa petite enclave bleu-blanc-rouge, avec sa petite mentalité du "moins j'ai de pouvoir, plus j'en profite". Sa seule hantise : se faire taper sur les doigts par son chef de service.

Faut-il s'étonner que nous autres, expatriés au Québec, devons ensuite ramer comme des forcenés pour casser l'image du Maudit Français ?

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21 août 2007

L’Ordre du Temple Solaire : les X-Files selon Yves Boisset

ou

Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ?

Je ne voulais pas le voir, ce documentaire. Je ne le sentais pas. J’aime beaucoup Yves Boisset, le metteur en scène de cinéma. Son côté pamphlétaire et iconoclaste a toujours été pour moi une source de réjouissance au pays des Dupont-Lajoie.

Mais lorsque j’avais appris il y a quelques années, que ce même Yves Boisset préparait un documentaire explosif sur l’Ordre du Temple Solaire, j’avais craint le pire. Craint que ce sympathique chien fou qui faisait mouche dans la fiction ne se noyât dans les eaux saumâtres de la manipulation médiatique d’un fait réel.

Aussi n’avais-je jamais osé regarder Les mystères sanglants de l’Ordre du Temple Solaire qu’il réalisa en 2005. Peur de voir un cinéaste intéressant se fourvoyer. Peur de le voir se planter dans les grandes largeurs.

Et puis, finalement, deux ans plus tard (en l’occurrence il y a deux semaines), Radio-Canada rediffusait le reportage. L’occasion fait le larron. Et le naïf fait le docu-fiction. Car il faut avoir une sacrée dose de candeur pour écrire et réaliser un machin pareil.

Yves Boisset est tombé dans la panneau. Pas un peu. Non. Les pieds solidement joints par la bonne foi, il s’est fait balayé par les arguments prodigieusement fallacieux de journalistes de province en quête de leur Watergate en Vercors. De tout son long, Boisset s’est étalé dans le délire paranoïaque des familles de victimes. La face contre terre, il s’est ratatiné sur le linceul boueux dans lequel se drapent des avocats à la recherche d’une reconnaissance médiatique (et accessoirement d’une rente à vie).

On l’aura compris (et on le regrettera) : Boisset s’est effectivement planté.


Le documentaire commence plutôt bien : l’historique de l’OTS, la relatation des massacres de Morin Heights (Canada) et de Cheiry et Salvan (Suisse) en 1994 sont rapidement mais bien retranscrits. Les choses se compliquent lorsque l’on en arrive à l’enquête suisse. À partir de là (et on y arrive assez vite), on a droit à un déballage du grand n’importe quoi, où la naïveté et l’incompétence le disputent au négationnisme.


L'enquête suisse bâclée

Tout d’abord, le juge Piller, chargé de l’instruction helvétique, essuie des tirs de barrage : son enquête bâclée laisse penser qu’il a dissimulé ainsi une manipulation d’État. En effet, pourquoi ledit magistrat a-t-il ordonné aussi vite la destruction des vestiges du chalet, détruisant ainsi des pièces à conviction ?

La réponse est pourtant simple : rapidement, la justice a conclu à l’assassinat collectif perpétré par des adeptes qui se sont ensuite suicidés. Les pièces à conviction déjà réunies étaient largement suffisantes. Le juge a donc fait détruire (devant les caméras de télévision) les vestiges du temple dans le chalet de Salvan afin d’éviter de faire du lieu un sanctuaire morbide. Ce n’était pas forcément la meilleure chose à faire. Mais émanant d’un juge complètement dépassé par la pression médiatique et politique, la décision est compréhensible.

Yves Boisset est bien au-dessus de ces basses considérations. Tout ce qu’il voit, lui, c’est que plusieurs mois après les massacres suisses, deux journalistes de France 2 se rendent au chalet de Salvan et fouillent dans les décombres. Dans la poubelle de la cuisine, ils découvrent des cassettes audio intactes sur lesquelles on peut entendre les conversations téléphoniques de plusieurs adeptes, espionnés par Di Mambro.

Et Boisset de conclure : c’est la preuve que l’enquête a été bâclée et que ce fiasco masque un scandale d’État.

OK. Maintenant, si on veut bien garder la tête froide, que découvrons-nous ?
  1. la teneur des conversations téléphoniques est en accord complet avec la thèse officielle de l’assassinat collectif suivi du suicide des adeptes meurtriers
  2. Si le juge Piller, en barbouze judiciaire aux ordres de Berne, a fait détruire les vestiges du temple dans le chalet pour couvrir une manipulation politique, je trouve hautement improbable qu’il ait oublié de faire les poubelles...

Les deux adeptes policiers morts dans le Vercors

Deux des 16 victimes du Vercors étaient des policiers français, Jean-Pierre Lardanchet et Patrick Rostan. Le reportage nous assène qu’ils étaient tous deux membres des Renseignements généraux. Le signe évident de leur statut de barbouze ! Et le reportage de nous montrer une transcription d’un fichier retrouvé sur l’ordinateur de Jo Di Mambro dans le chalet incendié de Salvan : « Lardanchet = taupe ». C’est LA preuve irréfutable.

Sauf que :
  1. Lardanchet n’était pas aux RG, mais à la Police judiciaire de la Préfecture de police, à Paris. Quant à Rostan, il n'était pas non plus affecté aux RG mais à la DiCILEC (aujourd'hui Police aux frontières ou PAF).
  2. Si ces deux policiers étaient des barbouzes en mission, pourquoi n'ont-ils pas été les deux éxécuteurs ? Seul Lardanchet a pressé la détente à plusieurs reprises, aidé par un adepte... architecte.
  3. Il ne serait pas venu à l’esprit d’Yves Boisset que cette mention « Lardanchet = taupe » était le fruit du délire paranoïaque de Di Mambro ? Un délire paranoïaque qui allait le conduire à orchestrer la mort de 53 personnes (dont la sienne) en l’espace de quelques jours en 1994 ? Il est évident qu’au cours de cette période troublée, Di Mambro a dû chercher tout autour de lui s’il n’y avait pas des taupes infiltrées. C’est un classique chez les gourous paranos. Mais non, selon Boisset, si un cinglé l’a écrit, ça doit être vrai…
  4. Comment se fait-il que, durant ce saisissant éclair de lucidité, Di Mambro n’ait pas aussi écrit « Rostan = taupe » ? Tout bon conspirationniste pourrait trouver la réponse évidente : Rostan était mieux infiltré que Lardanchet. A tel point que di Mambro, qui le savait policier était persuadé qu’il était clean. Allez roulez, petits bolides !
On pourrait tenter de faire entendre raison à ces tenants de la théorie du complot en leur demandant pourquoi Lardanchet s’est suicidé juste après les 14 assassinats. Et là, deux réponses possibles :
  • il s’est suicidé parce que le Ministre de l’intérieur Charles Pasqua lui en a donné l’ordre. Dans ce cas, il va falloir que les pouvoirs publics s'intéressent de près à la secte de la place Beauvau…
  • allons bon, qu’est-ce que vous êtes naïf ! Il a été abattu par d’autres barbouzes venues finir le travail et réduire au silence deux taupes du Ministère. Les mêmes barbouzes qui ont effacé les empreintes sur les véhicules des adeptes.

Pas d'empreintes digitales sur les voitures !

Ah oui, parce que je ne vous ai pas dit : il n’y avait pas d’empreintes digitales (mais alors, vraiment aucune !) sur les voitures des adeptes stationnées dans la forêt, en contrebas de la macabre clairière.

Bienvenue dans le monde merveilleux des légendes urbaines (ou, plus exactement, des légendes sylvestres). Où les tenants de la théorie du complot sont-ils allés pêcher cette histoire ? Dans une aventure de Fox Mulder, vraisemblablement… Parce que, en réalité, « les opérations de police technique effectuées à l'extérieur des véhicules n'ont pas permis de relever d'empreintes digitales exploitables.»[1] Supprimer ce dernier mot et tout devient soudain suspect. Rajoutez-le et tout devient limpide.

Soyons un peu logiques. Deux secondes, pas plus. Si on a affaire à des barbouzes, des tueurs patentés appointés par le Ministère de l’intérieur (des professionnels, quoi…) :

  • pourquoi auraient-ils effacé toutes les empreintes digitales sur les véhicules et pas les empreintes de pas sur le sol ? [2]

  • vous ne croyez pas qu’ils auraient mis des gants pour enlever, séquestrer et flinguer 16 personnes ?!

OTS = AMORC !

Mais ces contradictions et incohérences ne troublent pas Boisset une seule seconde. Et le réalisateur de tisser des liens entre l’OTS et le Service d’action civique (SAC), un groupe de barbouzes apparu sous de Gaulle et dissous en 1982. On est en 1995, mais c'est pas grave. Tissons, tissons, il en restera toujours quelque chose. Et Boisset de relier allègrement l'OTS au SAC via l’extrême-droite, via l’AMORC.

L’Ordre mystique et ancien de la Rose-Croix, c’est la Franc-Maçonnerie du pauvre. Et pas forcément au sens pécuniaire du terme. Ajoutée en 1999 sur la liste des sectes du rapport parlementaire français de 1996, l’organisation est régulièrement accusée d’être une officine barbouzarde, en lien avec le SAC, derrière laquelle l’État français se cache pour obtenir les bonnes grâces de chefs d’État africains et la passation de contrats de vente d’armes en échange de quelques titres ésotérico-nobiliaires aussi ronflants que bidons.

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que l’AMORC est un machin ésotérico-stupido-élitiste dont les écrits seraient littéralement à pleurer de rire s’ils n’avaient pas suscité autant de vocations sectaires. Car nombre de gourous (petits ou grands) ont usé leur fonds de pantalons taillés sur mesure sur les bancs des temples de l’AMORC en France et dans le reste de l’Europe. Ce fut le cas, entre autres, de Jo di Mambro.

Pour Yves Boisset, la preuve est faite : OTS = AMORC = SAC. Donc, par une transitivité biaisée : OTS = SAC. On a alors droit à un couplet sur l'affaire Yann Piat, l’assassinat des frères Saincenet, et patati et patata.

Maintenant, la question à 2000 € : quels sont les éléments de fait qui accréditent le lien structurel entre OTS et AMORC ?
Réponse : ben... Aucun. Mais Boisset ne peut pas nous dire ça, sinon il n’a plus qu’à replier son trépied, ranger sa caméra et retourner au cinéma de fiction.

Alors, il ne va pas s’arrêter à des détails et va broder sur du vent. Di Mambro a été membre de l’AMORC ? Qu'à ce la ne tienne : à l’AMORC un jour, à l’AMORC toujours ! Avec un tel raisonnement, on peut dire que je suis resté un fervent zélote du Football-club de Pulnoy au sein duquel j’ai joué cinq mois quand j’avais onze ans.

Le seul lien à peu près tangible que l’on aurait pu tisser entre les deux organisations passe par l’Ordre rénové du temple (ORT), organisation néo-templière dirigée par Julien Origas (connu pour avoir été un collabo durant la deuxième guerre mondiale et pour ses orientations d’extrême-droite après le conflit). En effet, à la demande de Di Mambro, Luc Jouret avait tenté de prendre la direction de l’ORT et ce, dès les funérailles d’Origas en 1983. Sauf qu’il s’était aussitôt fait jeter de l’ordre manu militari par la famille du défunt.


Le trafic d'armes international !

La fin du reportage, nous apprenons avec effroi que l'OTS abritait depuis des années un trafic d'armes international. Wouah ! Incroyable ! Mais que fait la police ? Elle est dans le coup, j'vous dis, ma bonne dame...

Mais ce qui est particulièrement risible, c'est lorsque l'on presse la touche retour arrière (en français du Québec : Rewind) : Boisset nous a en effet précédemment conté comment, en 1993, Luc Jouret, qui avait eu toutes les peines du monde à se procurer trois pistolets, s'était fait condamner de ce chef par la justice canadienne à verser 1000 $ à une oeuvre caritative. Mais Jouret et Di Mambro ont dû dès lors suivre les meilleures formations en la matière car, si l'on en croit Boisset, ils allaient mettre sur pied un trafic international d'armes lourdes... en l'espace d'un an !


Le blanchiment d'argent à l'échelle internationale !

Le correspondant de France-Info à Lyon, Maurice Fusier, est au conspirationnisme sectaire ce que le AAAA est à l’andouillette. Lorsqu’il évoque les fonds détenus par l’OTS sur des comptes en banque australiens, il balance le chiffre de 93.290.000 dollars. Puis il annonce que Interpol a reconnu s’être trompé : 93, ce n’est pas le nombre de millions de dollars sur les comptes, mais l’année de dépôt des sommes. Cela nous fait un dépôt en 1993 de 290.000 dollars, cela sent déjà nettement moins le mafieux.

Soit dit en passant, Interpol ne s’est pas trompé. La méprise vient de journasensationnalistes qui ont tiré des plans sur la comète au vu d’un document manuscrit qui avait fuité lors de l’enquête.

Bref, selon Maurice Fusier, le fait même qu’Interpol ait publié une telle rectification suffit à prouver la conspiration politico-mafieuse au plus haut niveau de la Finance internationale. Comme preuve décisive, à part les aveux des ennemis du Peuple sous Pol Pot, je ne crois pas pouvoir trouver pire.


Pourquoi une remise en cause de la thèse officielle ?

La question est d'importance, car elle pousse le public à appliquer l'adage « Il n'y a pas de fumée sans feu ». Si divers acteurs de cette affaire rejettent la thèse officielle avec constance et véhémence, il doit bien y avoir une raison. En fait, des raisons, il y en a trois qui, cumulées, donnent une impression trompeuse de scandale.

Les réseaux pro-sectaires

La remise en cause de la thèse officielle est à l’origine le fait de personnes qui défendent bec et ongles les minorités religieuses. Cette finalité n’a rien de critiquable en soi. Sauf lorsque cette apologie débouche sur une véritable négation du phénomène sectaire (pour plus de détails, je vous renvoie à un article publié précédemment sur ce blog).

Ainsi, le Centre d’études sur les nouvelles religions (CESNUR), fondé sous les auspices du Vatican, a été créé pour défendre les sectes dans le but non avoué de préserver le catholicisme des tentatives de laïcisation de certains pays européens. Il ne faut en effet pas attendre ici du Saint-Siège une oeuvre de compassion. Souvenez-vous : selon le Vatican, le danger du communisme, ce n’est pas l’économie ratatinée, ni même les goulags ou encore la démocratie assassinée. Non, le vrai danger du communisme, c’est son athéisme.

Les sociologues, historiens des religions et juristes affidés au CESNUR, zélotes du fait religieux tous azimuts, nient par conséquent farouchement la dangerosité du phénomène sectaire, ce qui les conduit inévitablement à nier la responsabilité des sectes dans des massacres dits "suicides collectifs". Ainsi CESNUR et consorts ont-ils continuellement oeuvrer pour faire croire que :

  • les 913 suicides, assassinats et empoisonnements du Temple du Peuple de Jim Jones au Guyana en 1978 ont été provoqués par le gouvernement américain [3];
  • le massacre de Waco organisé par le gourou David Koresh, en 1993, a été provoqué par la police fédérale américaine [4];
  • le suicide collectif des membres de Heaven’s Gate, groupe soucoupiste californien, en 1997 n'est pas un suicide collectif mais un ensemble de 39 suicides commis indépendamment par autant de personnes ayant librement consenti de leur propre chef, et sans la moindre incitation du groupe, à en finir avec leur vie terrestre [5];
  • le "suicide collectif" prévu dans le groupe Néo-Phare, à Nantes en 2002, est une invention des services de renseignement et judiciaires français [6];
Et on ne s'étonnera pas non plus que Danièle Gounord, sur son blog officiel de porte-parole de l'Église de scientologie, considère le massacre de 16 adeptes de l’OTS dans le vercors en 1995 comme une manipulation de l'État français pour justifier son action politique contre les sectes :

Grâce à la persévérance des familles des victimes, des pistes se sont peu à peu dessinées, faisant s’écrouler le mythe du suicide collectif des membres de l’Ordre du temple Solaire devant le faisceau de preuves qui contredisent la version officielle, et laissant entrevoir une manipulation de grande ampleur. Car sur cet énorme mensonge s’est bâtie toute une machinerie gouvernementale pour lutter contre les nouveaux mouvements spirituels et religieux.[7]

De l'art hubbbardien de la récupération et de la progagande...


L’héritage de Jacques Breyer

Alain Leclère est l’avocat de familles de victimes du massacre du Vercors, qu'il a su conduire vers une affaire judiciaire - et des versements d’honoraires - à long terme. Mais un autre détail doit être évoqué : Leclère est également l’avocat de la veuve de Jacques Breyer.

Qui c’est, celui-là ? Jacques Breyer est le père du néo-templarisme. C’est lui qui, en 1952, au château d’Arginy, rassemble une poignée d’ésotéristes à deux centimes et annonce la renaissance de l’Ordre du Temple. C’est la résurgence d’Arginy. L’Ordre du Temple, l’organisation des Chevaliers Templiers, disparut en 1315 suite à une habile manipulation du roi de France Philippe Le Bel (une vraie affaire d’État, celle-là). Mais Jacques Breyer et ses écrits hermétiques font état de la continuation occulte de l’Ordre durant plus de six siècles. Et en 1952, l’heure est venue de refaire surface.

Pour les ésotéristes européens, Jacques Breyer est un messie et son oeuvre est incommensurable. Notamment en termes financiers. Aussi on peut comprendre que sa veuve ne souhaite pas voir l’oeuvre du défunt traînée dans la boue : les massacres de l’OTS sont en effet une preuve tangible des dérives auxquels le néo-templarisme peut conduire. Mme Breyer a donc tout intérêt à faire accréditer la thèse de l’assassinat barbouzard, de l’affaire d’État que l’on a voulu étouffer.


Les familles des victimes du Vercors

Certes, mais les familles de victimes ? Quel intérêt ont-elles à remettre en cause la thèse officielle de l’assassinat collectif suivi de suicides commis par des adeptes ? La réponse se comprend aisément, d’un point de vue psychologique. En effet, les familles de victimes du massacre du Vercors sont dans une situation intenable : dans la plupart des cas, elles savaient depuis un bon moment que leurs proches (qui périraient en 1995) étaient des membres de l’OTS. Mais, suite aux massacres suisses et québécois de 1994, ces adeptes survivants avaient assuré leur famille que ces tragédies étaient incompréhensibles, que leur propre cheminement spirituel au sein de l’OTS n’avait rien en commun avec celui de Di Mambro et consorts, qu’ils allaient quitter sur-le-champ une telle organisation,...

Or, un an plus tard, on constate que tous ces beaux discours rassurants n’étaient que de l’intox. Les adeptes étaient non seulement demeurés membres de l’OTS, mais ils comprenaient parfaitement le geste des "suicidés" au point de planifier leur propre transit vers Sirius.

Lorsque survient le massacre du Vercors en 1995, les familles des "suicidés" ont deux façons de réagir, qui s'excluent mutuellement :
  • soit elles se disent qu'elles n'ont pas été vigilantes, qu'elles savaient que leurs proches étaient dans l'OTS et qu'elles n'ont pas réagi après les massacres de 1994. Bref, elles considèrent qu'elles ont une responsabilité dans ces décès. Mais il faut une sacrée dose d'introspection et de courage pour en arriver à cette conclusion ;
  • soit elles refusent de reconnaître leur aveuglement dans cette affaire et préfèrent rejeter la responsabilité sur d'autres. Mais contre qui peuvent-elles se retourner ? Plus aucun des acteurs des massacres de l'OTS n'est vivant ! En conséquence, le coupable idéal c'est... le gouvernement. Qui doit forcément nous cacher des choses. D'ailleurs, « tout le monde sait que », au nom de la raison d'État, le gouvernement peut être amené à commettre des actes horribles. Comme enlever 16 hommes, femmes et enfants au quatre coins de la France et de la Suisse, et les assassiner tous ensemble en pleine nuit hivernale dans une clairière du Vercors.
On peut comprendre la douleur des familles et, dans une certaine mesure, leur cécité soigneusement entretenue par des individus marqués du sceau de l'intéressement. Mais cet aveuglement n'est pas sans conséquence sur la perception du fait sectaire en France. Ainsi, en cautionnant la thèse du complot d'État, les familles des victimes accréditent l'idée que professent les réseaux pro-sectaires, à savoir que les sectes ne sont pas si dangereuses...

Et lorsque le couplet anti-barbouzes des familles est entonné par un représentant des institutions françaises, c'est le pompon. Ainsi, quand le parlementaire Jean-Pierre Brard se lance dans un plaidoyer en faveur des familles des victimes du Vercors doublé d'une diatribe sur le gouvernement de droite qui a enterré l'affaire, on confine au n'importe quoi. On l'a vu précédemment sur ce blog, le député-maire communiste de Montreuil est à la niaiserie anti-sectaire ce que la tige de bois est à la saucisse de Morteau. Avec de telles interventions hautement médiatisés, Brard scie la branche sur laquelle il est assis; il abonde dans le sens des pro-sectes (alors qu'il est vice-président du groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale !) et apparaît dans toute sa splendeur de Don Quichotte du Palais-Bourbon...

Don Quichotte, Yves Boisset en est un autre, généralement plus inspiré. Le metteur en scène du Prix du danger et de Allons z'enfants ne s'est donc pas contenté d'écrire et réaliser un reportage d'une épouvantable subjectivité. Sa bonne foi et son propension aux coups de gueule salutaires l'ont projeté dans l'arène des conspirationnistes de mauvais aloi. Il se retrouve ainsi, bien malgré lui, le véhicule de la théorie de l'innocuité des sectes. Il ne s'y attendait pas.

Nous si. Et au moins de ce point de vue, on n'est pas déçus.
_________________________________________________


[1] Tribunal correctionnel de Grenoble, 25 juin 2001. Les caractères gras sont de mon fait.

[2] Je rappellerai qu'on était en décembre, dans le Vercors : il y avait de la neige sur le sol.

[3] Nancy T. Ammerman, Report to the Justice and Treasury Departments Regarding law enforcement interaction with the Branch Davidians in Waco, Texas - Recommendations of Experts for Improvement in Federal Law Enforcement after Waco, U.S. Department of Justice and U.S. Department of the Treasury, Washington, DC: Government Printing Office, 1993, § III-8.

[4] Massimo Introvigne, Che cosa è veramente accaduto a Waco, revue Cristianità, no 217, 1993, p.3.

[5] Jeffrey Hadden, Heaven's Gate - Profile of the group.

[6] Susan J. Palmer, France's About-Picard Law and Neo-Phare: The First Application of "Abus de Faiblesse (short version) ; disponible également en version française.

[7] Danièle Gounord, Temple Solaire : la fin d'un mythe, 15 octobre 2006. Les caractères gras sont de mon fait.

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18 août 2007

Les Aventuriers du Judo perdu

ou

Le Gracie Jiu-Jitsu : résurgence brésilienne d’une vraie philosophie des arts martiaux japonais

Il peut sembler étonnant pour un amateur d’arts martiaux japonais traditionnels de s’intéresser au jiu-jitsu brésilien. Jiu-jitsu brésilien... D’abord, qu’est-ce que c’est que cette orthographe ? On connaissait le ju-jutsu (au sens traditionnel du terme, dans un contexte japonais) et le ju-jitsu (qui désigne la discipline telle qu’enseignée en Occident). Voilà maintenant le jiu-jitsu (graphie propre à cette discipline sud- américaine)[1].

Et puis, franchement, le jiu-jitsu brésilien... Pourquoi pas la capoeira mongole ou le tae-kwon-do argentin, tant qu’on y est ?

Mais si la notion même de jiu-jitsu brésilien semble incongrue, l’étude de la discipline en tant que telle se révèle riche d’enseignements et propice à une réflexion de fond en matière d’arts martiaux.

Car le jiu-jitsu brésilien, et plus particulièrement le Gracie Jiu-Jitsu[2], remet en cause rien moins que plusieurs paradigmes au sein de la vaste communauté des pratiquants d’arts martiaux.

Démonstration de Rickson & Royler Gracie - Japan Vale Tudo 1994

Et il est sinon paradoxal tout du moins étonnant que ce questionnement à la fois théorique et pragmatique se fasse jour via les arts martiaux traditionnels japonais, en plein coeur du Brésil, terre de contrastes et de métissages.

Au centre de cette tempête figure le judo. Cet ensemble de techniques de combat fut développée au sein du Kodokan, le dojo fondé en 1882 par Kano Jigoro. Il s’agissait pour cet enseignant tokyoïte de réviser de fond en comble l’apprentissage du ju-jutsu, ancienne discipline de combat à mains nues pratiquée sur les champs de bataille du Japon médiéval. Elle était enseignée aux soldats au cas où ils ne seraient pas en situation d’utiliser leurs armes blanches (perte de l’arme, distance ou temps insuffisant pour dégainer,...).

Kano Jigoro commence à pratiquer le ju-jutsu traditionnel alors que le Japon est encore féodal. Mais en 1868, s’ouvre l’ère Meiji. C’est la fin du moyen-âge nippon. Le vrai chef de l’Empire n’est plus le Shogun, le gouverneur militaire, mais les conseillers de l’Empereur versés dans les affaires, à une époque où le Japon s’ouvre aux échanges commerciaux avec l’Occident.

La principale conséquence sociale de l’ère Meiji est la disparition du système de classes (paysans, commerçants, samouraï). Il devient donc interdit aux anciens samouraï de porter des armes et même de pratiquer les arts du combat.

Ces dispositions auront deux conséquences déterminantes sur l’avenir du ju-jutsu :

  • L’école de ju-jutsu qui veut perdurer doit savoir se faire discrète.

  • L’école de ju-jutsu la plus efficace se doit d’être la plus pragmatique. En effet, aux duels entre samouraï se substituent alors des combats de rue, dans lesquels l’honneur et les règles n’ont pas leur place. Les sabres et les armures non plus... Il importe donc de délaisser les techniques spécifiques au champ de bataille et aux duels d’escrime pour repenser et développer les prises recourant aux saisies des membres et des vêtements, aux étranglements ainsi qu’aux hyperextensions des articulations.

On a coutume de dire que Kano était un saint homme qui a voulu développer le judo pour en faire une discipline emprunte de sagesse, où tout serait harmonie, par opposition avec les brutes épaisses qui pratiquaient le ju-jutsu dans les rues. C’est pour le moins inexact.

Dans Sugata Sanshiro (1965), les cinéastes Kurosawa Akira[3] et Uchikawa Seiichiro ont fait une transcription fidèle de ce qu’était la situation à l’époque. Mifune Toshiro interprète ici Yano Shogoro (alter ego fictif de Kano Jigoro), professeur de ju-jutsu.

Les anciens arts de la guerre (bujutsu) sont encore enseignés à la dure. Les blessures graves sont légion chez les jujutsukas. Kano en a été largement témoin et veut changer cela. Il estime que l’on doit pouvoir enseigner une méthode de défense efficace basée sur le ju-jutsu mais sans craindre de dommages corporels. Kano va ainsi créer son propre dojo, le Kodokan, au sein duquel il développera le judo, première discipline de ce que l’on appellera plus tard les budo.

Il est également faux de prétendre que Kano voulait faire du judo un sport, en opposition au ju-jutsu, technique de combat. Le judo est au contraire conçu à l’origine comme une véritable méthode de combat enseignée de manière sportive [4], c’est-à-dire fair-play : le pratiquant doit accepter la défaite comme une petite mort et en tirer les enseignements pour se relever au sens physique et figuré.

Le judo se révèle ainsi une synthèse de nombreux styles de ju-jutsu (notamment Kito Ryu et Tenshin Shinyo Ryu, écoles dont Kano fut diplômé). Par ailleurs, le Kodokan demeura durant des décennies un lieu où les jujutsukas sont venus lancer des défis pour prouver que leur école était meilleure que celle de Kano. S’il refusait que ces propres disciples se livrent à ce genre de provocation, Kano a toujours accepté qu’ils les relèvent, car ces défis faisaient partie intégrante de la tradition du ju-jutsu.


On est loin de l’image d’Épinal faisant de Kano un bonze qui dédie sa vie à la méditation et au développement de son âme par la pratique d’une gymnastique vaguement héritée des arts de la guerre. Au lieu de cela, on découvre que le bon professeur Kano a continuellement incité les tenants de diverses écoles de ju-jutsu à intégrer le Kodokan pour faire de son Judo la discipline de combat la plus efficace possible. C’est ainsi qu’il persuada un Japonais d’Okinawa de venir enseigner les atemis au Kodokan. L’homme s’appelait Funakoshi Gichin et il allait fonder ainsi dans la capitale le premier dojo de... karaté. Kano envoya également l’un de ses disciples les plus proches, Tomiki Kenji, étudier avec Ueshiba Morihei, expert en aïki-jutsu et futur fondateur de l’aïkido[5].


Cette recherche continue de l’efficacité maximale du judo nous conduit tout naturellement à nous intéresser au Fusen-Ryu Ju-Jutsu et à son influence sur la création au sein du Kodokan de la discipline dénommée Kosen Judo.


Le Kosen Judo

Le Fusen-Ryu Ju-Jutsu (littéralement le Ju-jutsu de l’école de Fusen) est fondé au début du XIXème siècle par Motsuge Takeda. Il est l’un des tout premiers styles de ju-jutsu à orienter ses techniques vers les spécificités d’un combat sans arme et sans armure.

Toutefois, à la fin du XIXème siècle, l’école de combat qui domine le marché de la tête et des épaules est sans conteste le style du Kodokan de Kano Jigoro. En 1886, les judokas ont en effet montré leur supériorité sur toutes les écoles de ju-jutsu représentées lors d’une compétition ad hoc organisée par la police de Tokyo. Le Judo devient alors la discipline officiellement enseignée aux policiers tokyoïtes.

Mais deux ans plus tard, Kano subit une importante déconvenue. Le maître du style de Fusen de l’époque, Tanabe Mataemon, envoie dix de ses disciples défier les meilleurs élèves de Kano dans une compétition similaire. Et les judokas sont tous battus.[6]

Le style de Fusen recourt à des formes élémentaires de projection mais repose très largement sur des techniques de clés aux articulations et des étranglements, appliqués aussi bien au sol qu’en position debout. Ainsi, si les judokas du Kodokan sont les maîtres du combat debout grâce à leurs techniques de projection (Nage-Waza), ceux du Fusen-Ryu Ju-Jutsu le sont au sol (Ne-Waza).

Or, s’il est facile pour un combattant de forcer son adversaire à poursuivre un combat au sol, il est quasiment impossible de l’obliger à lutter debout. D’où la supériorité du Fusen-Ryu.

Fidèle à ses principes, Kano demande alors à Tanabe de se joindre au Kodokan afin de lui permettre d’incorporer ce style si particulier (et si efficace) à son Judo. Tanabe accepte. S’en suit alors une période de grand développement de techniques de judo au sol, période que les historiens des arts martiaux dénommeront Révolution du Ne-Waza. Les sessions de recherche des judokas spécialistes en ne-waza se tiendront dans un collège tokyoïte. C’est ainsi que cette branche du Kodokan Judo sera dénommée communément Kosen Judo (littéralement judo de collège).

Basé sur l’abandon de l’adversaire par l’application de techniques de soumission, le style de Fusen présentait la particularité d’occasionner moins de traumatismes graves que les projections traditionnelles du Judo. C’est pour cette raison que le Ne-Waza développé au Kodokan connut un succès considérable au sein du système éducatif japonais. Kano en fit en effet une discipline de développement du corps enseignée dans les écoles secondaires du Japon. Il donna ainsi lieu à l’éclosion d’une forme particulière de pratique du judo. Les premiers championnats du Japon de Kosen Judo se tinrent à Tokyo en 1914.

Mais le succès et l’efficacité du ne-waza poussèrent Kano à une véritable introspection : il devenait relativement facile d’entraîner un combattant à lutter au sol, mettant ainsi en échec n’importe quel tenant d’une école rivale. Le judo s’orientait alors vers une discipline presque exclusivement basée sur le ne-waza. Kano n’y voyait pas malice en soi, mais il ne souhaitait pas voir le judo devenir une sorte de lutte au sol.

Aussi en 1925, le fondateur décida de modifier les règles de compétition. Tout combat devait commencer debout et tout judoka qui amenait son adversaire au sol sans le projeter et ce, plus de 3 fois, était déclaré perdant. Cette règle fut maintenue jusqu’en 1940. Mais les pratiquants de Kosen Judo l’ignorèrent et poursuivirent les compétitions dans leur propre style.

Kano ne tenta toutefois jamais de s’opposer au Kosen Judo. Non seulement il ne voyait aucun mal à pratiquer largement en ne-waza, mais il avait toujours besoin de spécialistes en techniques au sol. Et après tout, les pratiquants de Kosen Judo étaient très minoritaires.

À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, les autorités japonaises prirent les rênes du Kodokan et en firent une académie militaire, au grand dam de Kano. L’armée japonaise avait déjà fait de même des décennies plus tôt, en récupérant le Butokukai (école de judo rivale de celle de Kano, fondée en 1895) et en lui adjoignant une académie militaire (le Budo Semmon Gako).

Faire du Kodokan à son tour une académie militaire constituait aux yeux de Kano une grave violation des principes du judo. Mais le fondateur n’avait guère les moyens de s’opposer à cet acte politique. Dépité, il concentra alors ses efforts dans une direction qu’il avait empruntée des années plus tôt : devenu le premier membre asiatique du Comité international olympique (CIO) en 1909, il oeuvra pour faire du Judo une discipline olympique. Il mourut d’ailleurs en 1938, au retour d’une réunion du CIO en Egypte. D’aucuns prétendent qu’il aurait été empoisonné, en raison de son opposition à la politique martiale du Japon.


La naissance du judo moderne

Après la défaite du Japon en 1945, les forces américaines d’occupation dirigées par le général McArthur démantèlent l’armée nippone et interdisent toute forme de regroupement de nature à dissimuler son éventuelle reconstitution.

Comme d’autres dojo, le Kodokan est fermé. Finalement, Kano Risei, le fils du fondateur, parvient à le faire rouvrir en 1947, à la condition expresse de n’en faire qu’un centre sportif. C’est dans ce contexte que le judo va connaître sa considérable expansion. Le judo n’est plus dès lors considéré comme un art martial mais comme un sport. Et c’est ce sport que les maîtres de judo vont enseigner ouvertement, notamment aux occidentaux alors présents au Japon.

La pratique du Kosen Judo posait alors problème à Kano Risei. Les règles de la discipline ne prévoyaient pas en effet de décompte des points mais la victoire par soumission (i.e. la défaite par abandon). Par ailleurs, les competitions de Kosen Judo avaient pris la forme d’une bataille entre écoles et universités. Les combattants ne luttaient pas seulement pour eux mais aussi et surtout pour l’honneur de leur institution. Ainsi, à des niveaux élevés de compétition, les combattants refusaient fréquemment d’abandonner, ce qui aboutissait à des membres cassés ou à des évanouissements. Des comportements qui tranchaient avec la façade policée que le Kodokan devait afficher s’il voulait pouvoir rouvrir.

Le fils du fondateur décida alors de recentrer le Kodokan Judo vers le nage-waza et un nombre limité de techniques de ne-waza. Il erradiqua ainsi du Judo Kodokan les clefs de jambe, de poignet, de cou ainsi que certaines clefs de bras et étranglements jugés trop dangereux.

Délaissant ainsi en grande partie la spécificité du Kosen Judo, le Kodokan Judo se présentait ouvertement comme un sport. Le judo moderne venait de naître.


Maeda Mitsuo : du Kodokan au jiu-jitsu brésilien

Quid du jiu-jitsu brésilien dans cet historique ? Eh bien, à cette époque, son histoire a déjà débuté. Son fondateur est un Japonais du nom de Maeda Mitsuo. Né en 1879, il commence à étudier le ju-jutsu en 1896, avant d’entrer au Kodokan l’année suivante. À cette époque, le dojo de Kano est encore en pleine Révolution du Ne-Waza. C’est ainsi que Maeda deviendra l’un des plus grands praticiens du judo au sol. De même, il entrera dans le premier cercle des disciples de Kano. Le fondateur confiera ainsi à Maeda la responsabilité d’une tournée de promotion du judo aux États-Unis en 1904, puis en Amérique du Sud au cours des années suivantes.

Lorsque Maeda revient sur le continent américain en 1920, c’est au sein d’une colonie de Japonais ayant choisi de s’implanter au Brésil. La tâche n’est pas aisée. Pour arrondir ses fins de mois, le judoka se livre à des combats de lutte libre (en portugais : vale tudo). Maeda bat tous ses adversaires, ce qui lui vaut le surnom de Conde Koma (i.e. le Comte du combat)

Sa carrière de lutteur professionnel sera largement facilitée par un homme d’affaires du cru, d’origine écossaise, dénommé Gastāo Gracie. L’aide du Brésilien a dû en effet s’avérer des plus grandes car, en guise de remerciement, Maeda enseigne son art du combat au fils aîné de Gracie, prénommé Carlos. Ce dernier adaptera ensuite les techniques de Maeda à sa morphologie et à son tempérament de duelliste patenté. Réputé invaincu, Carlos Gracie deviendra au Brésil une véritable légende.

En 1925, Carlos ouvre un dojo au sein duquel il enseigne le jiu-jitsu au public ainsi qu’à trois de ses frères. Le cinquième fils de Gastāo, Hélio Gracie, ne participe pas à ces entraînements. Son médecin lui a en effet interdit de pratiquer toute activité sportive en raison d’une santé fragile et d’une faible constitution. Toutefois, il assiste régulièrement aux entraînements... depuis le bord du tatami.

Un beau jour, Helio, alors âgé de 16 ans, constate que son frère Carlos, n’est pas à l’heure pour dispenser l’entraînement. Comme les élèves s’impatientent, Helio leur propose de commencer le cours à la place de son frère. Il pense être pour le moins en mesure de débuter le cours dans l’attente de l’apparition de Carlos. Ce dernier n’arrive qu’après la fin de l’entraînement. Il s’excuse platement auprès de ses élèves, mais l’un d’entre eux lui répond en substance « Ce n’est pas grave. Ton frère Helio a dirigé l’entraînement à ta place. Et si ça ne t’ennuie pas, j’aimerais que ce soit lui dorénavant qui me fasse cours.»

C’est ainsi que Helio Gracie, passant outre l’interdiction médicale, va entamer une carrière légendaire dans les arts martiaux. Dès le début de sa pratique, il va dépouiller le style "brut de décoffrage" de Carlos pour l’adapter à sa morphologie. Ce faisant, il oeuvre dans le même sens que Kano Jigoro. Le fondateur du judo était en effet lui-même chétif et avait orienté en fonction sa pratique du ju-jitsu puis du judo.

Helio Gracie va ainsi développer un style fluide basé sur la technique, au détriment de la force. Dans toute sa carrière de combattant, le malingre Helio Gracie ne connaîtra que trois défaites : il subit la dernière à l’âge de 44 ans, contre un de ses anciens élèves, à l’issue d’un combat de 3 h 40 min... Quant aux deux précédentes, elles l’opposent à Kimura Masahiko, champion du monde de judo. Peu avant leur premier combat, en 1951, Kimura (100 kg, 1 m 90) déclare que si Helio tient plus de trois minutes, il considérera que le Brésilien (63 kg, 1 m 60) a gagné son défi. Gracie perdra... après 14 minutes de combat.

Mais il a atteint son but : démontrer que le Gracie Jiu-Jitsu permet à un individu pourvu d’une morphologie normale (ou inférieure à la normale) de tenir en échec voire de vaincre des adversaires plus grands, plus lourds et/ou plus musculeux.

Kimura, impressionné, propose à Gracie de venir enseigner sa technique au Collège impérial de Tokyo. Helio décline l’offre. Il consacrera le reste de son existence en sol brésilien au constant perfectionnement de son jiu-jitsu.

Malgré le fait que d’autres de ses frères se soient illustrés lors de duels en combat libre, c’est bien le style de Helio qui aura le plus grand succès au Brésil et qui fera connaître le jiu-jitsu brésilien en occident.


Les Ultimate Fighting Championships

Les fils de Helio se sont par la suite largement fait connaître par la pratique de la discipline. L’aîné, Rorion, est aujourd’hui le plus brillant instructeur de jiu-jitsu brésilien. C’est à lui que l’on doit l’internationalisation du jiu-jitsu brésilien. Installé aux États-Unis depuis des années, il y crée en 1993 l’Ultimate Fighting Championship (UFC). Le but de l’opération est de créer ex nihilo un événement d’envergure mondiale où les meilleurs combattants de toutes disciplines et de tous styles s’affronteraient dans des conditions les plus proches du combat réel. Il s’agit de déterminer quelle méthode de combat est la plus efficace.

Pour représenter le jiu-jitsu brésilien, Rorion Gracie a l’embarras du choix. Plusieurs de ses frères, demi-frères et cousins sont des pratiquants de très haut niveau. À l’époque, le meilleur de tous est sans conteste Rickson Gracie, son frère cadet. Il a vaincu tout le monde au Brésil, sur et en dehors du circuit officiel de la lutte libre. Selon la rumeur (et le marketing), il aurait gagné plus de 460 combats, sans essuyer une seule défaite.

La légende est sujette à caution. On sait en effet de façon certaine qu’il a perdu un combat, et encore, pas en lutte libre mais dans une compétition officielle de kempo aux États-Unis. Mais ce n’est pas là une bien grosse anicroche. D’aucuns prétendent que ses adversaires dans les compétitons officielles de Vale-Tudo n’étaient que des faire-valoir, des combattants sans envergure. C’est un peu dur à avaler. Il suffit, pour se convaincre du contraire, de regarder le combat titanesque que Rickson Gracie remporta contre Rei Zulu, cette montagne de muscles, imprévisible et incontrôlable. Rickson confia que cela avait été le combat le plus dur de sa carrière. On veut bien le croire...

Que les détracteurs de Rickson Gracie me donnent une liste des combattants qui, à l’époque, avaient l’étoffe de battre Rei Zulu... Rickson est indéniablement un combattant d’exception, l’un des tout meilleurs du monde.

Mais il ne participera pas aux UFC. Selon certains, Rickson aurait refusé pour des raisons financières. Selon d’autres, sa popularité au Brésil faisait obstacle à sa participation aux UFC. Selon Rorion Gracie, Rickson n’était pas assez représentatif des principes de base du jiu-jitsu brésilien. En effet, Rickson est taillé comme un dieu grec. En lieu et place du gladiateur de peplum, Rorion choisit de faire concourir son frère Royce Gracie.

L’UFC I voit s’affronter toutes sortes d’individus, sur un ring octogonal grillagé, dans une absence quasi-totale de règles [7]. Des sportifs affrontent des brutes sans foi ni loi. C’est un déchaînement de violence que la bonne société américaine de l’époque va largement condamner.

Mais le landerneau des arts martiaux connaît pour sa part une grande introspection : les judokas découvrent grâce à l’UFC qu’une projection parfaitement exécutée ne met pas fin au combat; les karatékas s’aperçoivent qu’un atemi sur un point vital n’assome pas forcément l’adversaire; les boxeurs apprennent que frapper avec un poing nu peut faire plus de mal à celui qui le donne qu’à celui qui le reçoit, etc. Ce grand métissage des styles et de techniques remet en cause plusieurs fondements que chaque école avait érigé en dogme, dans son coin.

Et c’est sans compter les critiques formulées alors par une myriade d’individus, autoproclamés maîtres et champions de disciplines martiales plus que confidentielles, mais dont les prétentions d’efficacité supérieure s’effondrent comme un château de cartes avec l’avénement de ce type de compétition.

Au coeur de cette brutalité sans nom, Royce Gracie remporte l’UFC I sans faire preuve de violence excessive : des clefs d’articulation et des étranglements. Les spectateurs sont fascinés.

Royce Gracie contre Gerard Gordeau, en finale de l’UFC I

Quelques mois plus tard, l’UFC II est remporté par... Royce Gracie.

À l’UFC III, en revanche, il est contraint d’abandonner le tournoi pour cause de blessure, à l’issue de sa deuxième victoire.

L’UFC IV est pour sa part remporté par... Royce Gracie.

Il devient alors clair que quelque chose est en train de se passer. Une discipline dont personne ou presque n’a entendu parler (en dehors du Brésil) est en train de tout chambouler. Le Gracie Jiu-Jitsu devient la discipline à battre.

Dès lors, tous les postulants aux UFC et autres tournois clones apparus dans le monde (Pride, K-1, IFC, Cage Rage,...) décident d’inclure dans leur entraînement des techniques de saisie et de soumission au sol. C’est l’aube des arts martiaux mixtes (Mixed Martial Arts ou MMA). Dès lors, en combat libre, ce ne sont plus des disciplines martiales qui s’affrontent, mais des individus qui pratiquent des styles hybrides (pour ne pas dire bâtards), ce qui fait disparaître le principal intérêt de telles rencontres.

Par ailleurs, les UFC sont devenus victimes de leur succès. Des hommes d’affaires ont compris le potentiel commercial des retransmissions télévisées des combats libres. Et de nouvelles règles sont introduites pour rendre le spectacle plus attrayant... et pour respecter les pages de publicité. On introduit des limites de temps, des rounds, des interruptions de combats au sol qui s’éternisent, le match nul,...

Les UFC ont aujourd’hui perdu tout ce qui faisait leur intérêt : l’opposition de disciplines dans des conditions le plus proche possible du combat réel. Leur fondateur, Rorion Gracie, se retire alors du projet, mais les UFC perdurent.


Une mentalité de gentleman pour un sport de brutes ?

Il a souvent été reproché au jiu-jitsu brésilien d’avoir engendré des tournois extrèmement violents. Pourtant, la discipline est l’une des moins brutales à s’y exprimer, et de loin. Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’elle nous présente. Bien sûr, le jiu-jitsu brésilien compte son lot de gros bras sans cervelle, mais il ne sont pas aussi nombreux qu’on voudrait nous le faire accroire. Il convient même de s’interroger sérieusement sur la mentalité de ses plus illustres pratiquants.

Ainsi, au sein de la seule famille Gracie, on compte environ 70 pratiquants, qui vont de la brute épaisse au grand maître vénérable. Mais parallèlement aux UFC, le jiu-jitsu brésilien est aussi un art de vivre.

Quand des judokas font de la musculation...

Quand des karatekas s’échinent à casser des parpaings...

Quand des aïkidokas se prennent pour des bonzes détenteurs d’une sagesse millénaire...

Il faut voir Hélio Gracie, 94 ans, pratiquer le jiu-jitsu dans le dojo attenant à sa maison, dans la campagne brésilienne. (voir le dernier quart de la vidéo ci-dessous).

On est là bien plus près de la voie des Kano, Funakoshi et Ueshiba qu’on ne l’a jamais été depuis des décennies.

Ainsi, Hélio et la plupart de ses fils respectent depuis le début de leur pratique un régime alimentaire développé par Carlos Gracie dans les années 30. Mais ce qui frappe le plus, c’est la façon d’être des deux frères Gracie les plus médiatisés, Rorion et Rickson. Voilà deux types qui ont montré à la face du monde qu’ils étaient les tenants d’une des disciplines de combat les plus efficaces que la Terre ait porté et ils ont gardé un état d’esprit relativement sain, quand la plupart des combattants aux UFC, Pride et autres K-1 ont bien souvent un égo démesuré.

Rickson Gracie est certes devenu un monstre marketing. La légende des 460 combats sans défaite en est un signe évident. Mais il faut savoir regarder sous la surface. Ainsi, dans le documentaire intitulé Choke, on suit Rickson durant sa préparation puis ses combats au cours du tournoi de Vale-Tudo qui se tint à Tokyo en 1995. Il le remporta haut la main, mais là n’est pas la question. Il était opposé en finale à un Japonais de petite taille, sur qui pas un bookmaker n’aurait misé un yen avant le début de la compétition. Tout au long de ses trois combats précédents, le Japonais se prend au visage des coups de poing qui assomeraient un éléphant. Mais il est toujours debout et, surprenant tout le monde à trois reprises, il gagne autant de fois par abandon.

Il se qualifie donc pour la finale mais son visage n’est plus qu’une plaie. Ses yeux sont si tuméfiés qu’on se demande s’il voit encore. Dans le vestiaire de Rickson Gracie, son coach lui dit que la finale se profile bien car il n’aura qu’à frapper son adversaire aux yeux pour l’aveugler totalement et l’amener au sol dans de bonnes conditions. Mais Rickson refuse : ce n’est pas sa façon de combattre, il ne profitera pas sournoisement de ce désavantage et il entend amener le Japonais au sol selon son style. Et il le fera... Pour un homme que d’aucuns ont dépeint comme une brute sans cervelle doublée d’un rouleau compresseur marketing, je lui trouve une certaine éthique...


Extrait du documentaire "Choke"

Héritier officiel du Gracie Jiu-Jitsu de Hélio, Rorion fut un grand combattant mais il demeure surtout un pédagogue hors normes. Ainsi la quinzaine de videos (devenues DVD) qu’il a développées sont d’une qualité inégalée. En ce qui concerne les techniques de Gracie Jiu-Jitsu proprement dit, la forme est des plus classiques : on y voit 2 personnes (Rorion et Royce) en gi (et pas kimono !), sur un tatami. En revanche, les techniques montrées et les explications données sont tout simplement remarquables. Énoncées avec simplicité et convivialité, elles dévoilent à l’amateur une rigueur et une concision qui font plaisir à voir.

9ème dan de son art, Rorion a aussi un grand sens du marketing. Détenteur de la marque déposée Gracie Jiu-Jitsu[8], il a su adapter ses techniques à une impressionnante variété de situations et de clientèles. Ainsi propose-t-il des programmes de formation spécifiques pour les forces de l’ordre, les personnels de bord dans l’aviation, les femmes en quête de techniques de self defense basiques mais efficaces,...

Chose suffisamment remarquable pour être signalée : ces déclinaisons du Gracie Jiu-Jitsu ne constituent pas des resucées d’un même programme. Elles sont véritablement adaptées aux besoins de chaque clientèle. Mieux encore, elles sont réalistes et efficaces, à mille milles des ridicules approximations qui farcissent 95% des videos éducatives produites dans le monde très surfait des écoles de self défense et de ju-jitsu moderne.


Ce que le jiu-jitsu brésilien nous apprend sur le judo

À ce propos, revenons un instant sur Maeda Mitsuo et sur le nom de jiu-jitsu qui désigne l’ensemble des techniques qu’il enseigna à Carlos Gracie.

Plusieurs théories coexistent pour expliquer cette dénomination :

  • Selon certains, on ignore tout simplement pourquoi Maeda dénomma cette discipline ju-jutsu, puisque lui-même ne l’aurait pratiqué que peu de temps, et seulement au cours de son enfance. En tant que haut gradé du judo Kodokan, c’est ce sport qu’il aurait normalement dû enseigner aux fils Gracie.
  • Selon d’autres sources, Maeda aurait introduit dans sa pratique du judo des techniques un peu rudes, allant à l’encontre des principes du judo.
  • Une troisième théorie veut que Maeda, coutumier des duels de type combat de rue, ait été de ce fait désavoué par Kano.

Ces deux dernières théories se rejoignent sur un point : Maeda n’aurait pas eu le droit d’enseigner sa technique sous l’appellation judo et l’aurait en conséquence baptisé ju-jutsu (à l’image de ces nombreuses écoles apparues au Japon au XIXème siècle).

Aucune de ces trois hyprothèses n’est véritablement fondée. La troisième théorie a toutefois un fond de vérité. Il a en effet été établi que Kano renvoyait du Kodokan des judokas tokyoïtes qui se livraient à des duels de rue. Mais il ne le fit pas de gaieté de coeur, car ces défis constituaient une composante du processus de recherche de Kano pour développer une discipline la plus pragmatique possible. En fait, Kano renvoyait ce genre d’élèves car le Judo était la discipline officielle de la police de Tokyo. Et que les judokas fussent partie prenante à des troubles de l’ordre public faisait un peu désordre.

Mais quid de Maeda lorsqu’il pratiquait la lutte libre au Brésil, à 18 000 km de Tokyo ? En quoi cela gênait-il Kano ? Au contraire, il prouvait là-bas l’efficacité du judo...

Concernant la dénomination de jiu-jitsu, la question fondamentale est la suivante : quelle preuve a-t-on que ce fût Maeda qui baptisa ainsi l’ensemble de ces techniques ? Que Maeda ait intégré au style Kodokan des techniques personnelles, cela est évident. Mais cela ne saurait absolument pas suffire à faire de lui le créateur ex nihilo d’une nouvelle discipline, le jiu-jitsu brésilien.

On sait que Maeda pratiqua le ju-jutsu pendant un an en 1896, alors qu’il avait 17 ans, juste avant d’entrer au Kodokan, en pleine Révolution du ne-waza. Il y devient d’ailleurs un spécialiste du judo au sol. Maeda fut l’un des plus proches disciples de Kano. Une fois installé au Brésil, Maeda enseigna le judo à Carlos Gracie. Mais il s’agissait de techniques de judo qu’il maîtrisait particuliement, à savoir un judo recourant largement au ne-waza hérité du Fusen-ryu Ju-Jutsu. Or, au début des années 20, il s’agissait de techniques officiellement intégrées au Judo du Kodokan.

Ce sont donc des techniques de judo qu’il enseigna à Carlos Gracie, lequel ouvrit son propre dojo au Brésil en 1925. Le détail a son importance : à cette même date, Kano venait de réorienter officiellement le judo vers le tachi-waza (techniques en position debout). Dans ces conditions, il devenait impossible pour Carlos Gracie d’utiliser le terme judo pour désigner une discipline officiellement distincte.

En conséquence, il apparaît pour le moins logique que Carlos Gracie ait ouvert un dojo de jiu-jitsu, étant donné que la discipline qu’il enseignait était un judo largement influencé par le Fusen-ryu Ju-Jutsu.

Alors, le Gracie Jiu-jitsu est-il vraiment du ju-jutsu ?

Il faut en premier lieu souligner que Hélio Gracie pratiquera le judo jusqu’à un haut niveau : les archives du Kodokan font en effet foi que Helio Gracie était 3ème dan de judo. Parallèlement, il fera de l’enseignement de son frère une interprétation personnelle, axée sur sa propre physionomie : si Maeda et Carlos Gracie avaient tendance à travailler en force en raison de leur gabarit, le malingre Hélio oeuvra clairement pour remettre la discipline sur la voie de la souplesse.

Il suffit d’ailleurs de regarder les images du combat entre Helio Gracie et Kato [9] pour s’apercevoir que le Brésilien pratique d’une façon étrangement proche du judo.

L’un des plus grands spécialistes occidentaux du Judo, Don Draeger, donne du ju-jutsu une fort pertinente définition en trois points. Il s’agit d’une discipline :

  • qui n’utilise pas de progression par niveau de ceinture;
  • qui ne connaît pas d’enseignement planifié, mais seulement un ensemble de katas et de techniques démontrées en une étape (one-step);
  • dont l’enseignement est basé sur une utilisation au champ de bataille.

De tous ces éléments, on peut conclure que le Gracie Jiu-jitsu n’est pas du ju-jutsu. C’est du judo ! Du judo aujourd’hui oublié par les officiels de la discipline, mais du judo incorporé au style Kodokan par Kano Jigoro lui-même durant près de 40 ans !

Mieux encore, le jiu-jitsu brésilien est certainement la discipline qui se rapproche le plus du judo originel de Kano, devançant même le judo sportif moderne !

Et ça, les instances internationales du judo ont bien du mal à l’accepter. Eux, les grands gourous du judo mondial, pratiqueraient une forme de judo tronquée et traficotée pour se conformer au diktat du Général McArthur en 1947 ?! Et ce serait une famille de bouseux brésiliens qui seraient les vrais continuateurs de l’oeuvre de Kano ?! Allons bon, vous n’êtes pas sérieux...

Ouais ben, réfléchissez-y donc à deux fois. Car l’imposture ne s’arrête pas là.


Le Ju-jitsu sous label Judo

D’aucuns répliqueront qu’il est ridicule de voir dans le jiu-jitsu brésilien est une école du judo officieusement issu du Kodokan, alors que le judo sportif (officiellement issu du Kodokan) dispose de sa propre école de ju-jitsu. Cette vision des choses convaincra ceux qui se fient aux mots et non aux faits.

Dans les années 1970-80, la popularité grandissante des méthodes de self défense avait laissé les instances officielles du judo occidental loin derrière sur ce marché hautement concurrentiel. Aussi fut-il décidé en leur sein de faire du neuf avec du vieux. Le judo tirait son origine d’une ancienne méthode de combat, le ju-jutsu ? Qu’à cela ne tienne. Ladies and Gentlemen, please discover le ju-jitsu, méthode de self defense forcément efficace puisqu’archaïque !

La France jouera d’ailleurs un rôle important dans le développement de ce concept, à une époque où le judo français de compétition a le vent en poupe. Ainsi, le ju-jitsu officiel y est dispensé au sein de la Fédération française de judo et disciplines affinitaires (FFJDA). Mais il ne faut pas être grand clair (ni même ceinture noire 6ème dan) pour constater à quel point ce ju-jitsu portant l’estampille FFJDA diffère du judo.

Ainsi, on trouve dans ce ju-jitsu faussement moderne fort peu d’enchaînements debout-sol. Plus étonnant encore, les techniques de déplacement et d’application des clés de bras sont généralement fausses, à savoir exécutées de façon non optimale, pour ne pas dire inefficace.

Comment expliquer une telle disparité entre judo et ju-jitsu officiels ? De plus, pourquoi existe-t-il une gradation spécifique au judo et une autre au ju-jitsu ? Et pourquoi à l’inverse, une ceinture noire de judo est-elle automatiquement élevée au rang de ceinture noire de ju-jitsu, même sans entraînement spécifique ? Tout cela n’est guère cohérent.

En fait, cet enseignement sorti de terre fort opportunément trouve ses fondements dans plusieurs katas de judo arbitrairement baptisés "kata de ju-jutsu", et interprétés de façon largement erronée. Le ju-jitsu enseigné sous les auspices des fédérations sportives de judo est clairement une imposture. Mais cela est une autre histoire dont nous reparlerons dans un article ultérieur.


De la supériorité alléguée du Gracie Jiu-Jitsu sur les autres arts martiaux

Au début des années 1990, il ne serait venu à l’esprit de personne dans le petit monde des combats ultimes de prétendre que le Gracie Jiu-Jitsu n’était pas la plus redoutable des disciplines. Ainsi, durant près de 10 ans, le GJJ a été l’art martial à battre, à prendre en défaut. Quelques années plus tard, TOUS les pratiquants professionnels de lutte libre avaient intégré des techniques de jiu-jitsu brésilien dans leur arsenal.

De fait, le Gracie Jiu-Jitsu, victime de son succès, a perdu une partie de sa spécificité et peut-être sa supériorité sur le circuit professionnel. Il est évident que l’on est plus efficace en combat si l’on maîtrise 5 disciplines au lieu d’une seule. Mais cette (vaine) recherche de l’invulnérabilité demeure l’apanage des professionnels, qui ne font que ça toute la journée.

Cette supériorité me semble devoir perdurer au plan amateur. D’une part, il existe un grand nombre de disciplines modernes[10] qui refusent d’évoluer et persistent à refuser d’intégrer les apports pourtant incontestés du Gracie Jiu-Jitsu. Parmi elles, on citera l’improbable Wing Tsun Anti-Grappling Anti-Takedown. Cette branche moderne du Wing Tsun prétend contrer les assauts des pratiquants d’une forme de lutte basée sur les saisies et sur les amenées au sol (comprenez : principalement le jiu-jitsu brésilien). Dans les vidéos de cours, c’est bien joli, cette succession de petits atémis censés neutraliser le grappler [11]. Mais sur le tatami... Il n’y a plus personne. Quelqu’un peut-il me citer un pratiquant de Wing-Tsun-A.G./A.T. à avoir gagner un tournoi de lutte libre ?

Par ailleurs, quid de Monsieur et Madame tout le monde qui ne bénéficient pas de journées de 96 h ? Hors de question d’en faire des experts en MMA. L’approche doit à l’évidence être différente. Dans un tel contexte, il est clair que pratiquer 5 disciplines revient à les survoler toutes. Il est bien préférable de maîtriser une discipline, plutôt de mal en pratiquer 5.

En fait, la question n’est plus ici de savoir si le Gracie Jiu-Jitsu est effectivement supérieur à toutes les autres disciplines. Considéré sous l’angle d’une méthode de self-défense, l’approche du GJJ est excellente : un combat de rue se termine au sol dans plus de 9 cas sur 10; or, le combat au sol est largement délaissé par les agresseurs potentiels. Maîtriser cette sphère de combat s’avérerait donc payante lors d’une confrontation impromptue.

Le combat se décomposerait ainsi en 4 phases :

  1. éviter les coups en attendant l’ouverture,
  2. venir au contact de l’adversaire,
  3. le projeter ou l’amener au sol puis [12]
  4. l’y contraindre à l’abandon, mais plus vraisemblablement [13] à l’évanouissement, voire à une articulation déboîtée.

Cela peut paraître très théorique et monstrueusement artificiel. On imagine en effet le combat de rue comme une lutte rapide, éphémère dans laquelle le premier qui frappe est vainqueur. Cette conception héritée des striking martial arts est prise en défaut par le GJJ.


Royler Gracie contre un instructeur de kempo


Royce Gracie contre un champion de kung-fu

Ainsi, on constate que le brazilian jiu-jitsuka prend son temps pour parvenir à ses fins. Les grappling martial arts permettent en effet de neutraliser l’efficacité des coups portés : au contact, les membres du striker disposent d’une bien moindre distance pour s’exprimer, ce qui limite considérablement leur efficacité.

Mais contrairement à la lutte sportive ou l’osae-waza en judo, il ne s’agit pas d’immobiliser l’adversaire au sol un certain temps pour lui faire comprendre qu’il a perdu. Et pour cause : il n’a pas perdu. Si le présumé vainqueur se relève, l’agression reprendra de plus belle tant que l’agresseur ne sera pas mis hors-jeu ou tant que l’agressé ne se sera pas enfui.


En conclusion...

Le Gracie Jiu-Jitsu constitue certainement l’un des derniers bastions d’une véritable philosophie des arts martiaux.

Sur le plan spirituel, pourvu qu’il soit pratiqué dans de bonnes conditions, le GJJ se place dans la lignée des budo tels que l’aïkido. Toutefois - et c’est tant mieux -, le GJJ ne connaît pas la prise de tête pseudo-intello-spirituelle et le côté aristocratique de mauvais aloi qui colle à la peau de bien des disciples modernes de Ueshiba.

Sur le plan technique, le jiu-jitsu brésilien a essaimé dans le monde sous l’influence de plusieurs familles de combattants (Gracie, Machado,...), créant ainsi une multitude d’écoles. Mais leur finalité demeure la même :

  • le jiu-jitsu brésilien est une discipline issue d’une histoire bi-centenaire;
  • il reste en perpétuelle recherche de l’efficacité optimale ; de ce fait, ses techniques ne sont pas figées dans le marbre de la tradition mais sont remises constamment en question et sujettes à amélioration;
  • et ce, tout en refusant le recours à la force et à la violence.

Si après ça, vous pensez encore que le GJJ, ce n’est pas du vrai judo, je mange mon gi...

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[1] En fait, ces changements d’orthographe s’expliquent par les successives règles de transcription des kanji (caractères japonais hérités du chinois) en romanji (syllabaire occidental).

[2] Les deux vocables seront utilisés ici comme synonymes.

[3] Kurosawa écrivit et réalisa en 1943 et 1945 un premier Sugata Sanshiro (La légende du grand Judo) et sa suite, Zoku Sugata Sanshiro. Il écrivit, produisit et assura le montage du remake de ces deux films, réalisé en 1965 par Uchikawa Seiichiro.

[4] Le judo moderne est aujourd’hui très exactement le contraire. Un comble !

[5] La démarche intellectuelle de Ueshiba qui le conduira de l’aïki-jutsu à l’aïkido est identique à celle qui avait conduit Kano du ju-jutsu au judo. Les deux hommes étaient d’ailleurs de grands amis.

[6] Il faut préciser que Tanabe avait étudié les règles de la compétition de la police de Tokyo et avait longuement observé les judokas du Kodokan pour connaître leur point faible.

[7] Seuls les coups aux yeux et aux parties génitales, les griffures et les saisies de cheveux sont interdits.

[8] Ce qui lui vaudra d’essuyer (et de gagner) un procès de la part de plusieurs membres de sa famille.

[9] Défié une première fois par Gracie, Kimura n’avait pas voulu combattre Helio avant de savoir si le Brésilien était un adversaire à la hauteur. Il avait donc été convenu d’envoyer en éclaireur Kato, champion de judo des poids légers. Suite à la défaite de son compatriote, Kimura décida de relever le gant.

[10] Il est bien évident que les disciplines traditionnelles n’ont aucune raison de le faire...

[11] On oppose généralement les disciplines de combat de type grappling (agripper) comme le judo ou la lutte, à celles de type striking (frapper), comme le karaté ou la boxe.

[12] N’en déplaise à certains judokas, il faut bien se rendre compte que la projection ne suffit généralement pas à mettre un point final au combat.

[13] On parle ici d’agression physique...

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