Chroniques trantoriennes

27 novembre 2006

Bond... Best Bond.

En 2004, une pétition commença à circuler sur le Web. Elle visait à afficher le mécontentement des fans des films de James Bond vis-à-vis du comédien que la production venait de choisir pour interpréter le célèbre agent secret britannique, dans le futur Casino Royale.

Fédérée sur la page www.danielcraigisnotbond.com, cette fronde avait le mérite de proposer un argumentaire limpide : boycottons ce film dont nous ne connaissons rien, sauf le faciès de l'interprète principal, Daniel Craig.

Et combien croyez-vous que la pétition rameuta de signatures ? 200 000. Oui vous avez bien lu : deux cent mille. 200 000 personnes qui, non contentes d'être gravement ramollies du bulbe, sont certainement analphabètes. Car, à l'évidence, aucune n'a jamais lu un roman de Ian Fleming. Et ne pas avoir lu Fleming quand on se prétend fan de James Bond, c'est aussi stupide que de ne pas connaître J.K. Rowling quand on est fan de Harry Potter.

Maintenant que le film est sorti et que l'on peut juger sur pièces, l'acrimonieux site anti-Daniel Craig est bien obligé de verser dans la mauvaise foi rampante s'il veut continuer à exister. Car prétendre que Daniel Craig n'est pas James Bond revient aujourd'hui à crier sur tous les toits que Harrison Ford n'est pas Indiana Jones.
En rebootant la machine James Bond, Michael Wilson et Barbara Broccoli ont pris le plus gros risque de l'histoire de leur franchise cinématograhique. Et ils ont eu mille fois raison.

Casino Royale remet en effet les compteurs à zéro et devient le nouveau Bond-étalon. Lazenby et Moore sont enterrés. Même Sean Connery fait pâle figure, avec ses gadgets à deux centimes et son sourire carnassier. Restaient en lice Tmothy Dalton (qui fut le plus humain des interprètes de 007) et Pierce Brosnan, qui avait marqué des points avec Demain ne meurt jamais, jusqu'ici le meilleur film de la série.

Malheureusement pour tout ce petit monde, Casino Royale vient de signer un strike et les envoie dans le décor. Jamais un James Bond n'avait su mêler aussi adroitement action et drama. La redéfinition du personnage principal fait de Bond un homme à l'égo démesuré, qui vient d'être nommé 00. Il se plante régulièrement mais ne lâche jamais rien. Quand avons-nous vu Bond se prendre des coups et encore des coups tout le long du film ? Quand l'avons-nous vu avoir vraiment peur ? Quand avons-nous douté qu'il puisse mener à bien sa mission ? Reconnaissons-le : jusqu'ici, jamais.

Le choix de Daniel Craig relève d'une prodigieuse audace de casting. Craig a une gueule. Ce n'est pas un top model, mais tabarnak, quelle présence ! À côté de lui, Sean Connery a le charisme d'un artichaut. C'est dire... Craig bouffait déjà l'écran dans Munich, dans le rôle d'un agent secret israëlien manichéen. Cette fois, il ne joue pas : Daniel Craig est James Bond.

Le personnage de Vesper Lynd, pour sa part, transcende le concept de James Bond girl. Elle n'est ni une jolie écervelée dont Bond s'entiche (juste assez pour avoir envie de la sauver à la fin du film), ni une super-agente avec qui il fait équipe (Michelle Yeoh-Halle Berry). Vesper Lynd est une femme qui veut se faire une place dans un monde très masculin, mais qui va se retrouver dépassée par les événements.

Quant au méchant de l'histoire, Le Chiffre, ce n'est pas un mégalomane qui veut faire péter la planète, mais un homme aux abois. Là encore, grosse nouveauté et profondeur dramatique accrue.

De leur côté, les morceaux de bravoure du film sont nombreux et particulièrement soignés. La solide mise en scène du vétéran des films d'action Michael Campbell (Goldeneye - La marque de Zorro) fait merveille, épaulée par un chef-monteur hors pair : Stuart Baird. Il fallait au moins ça pour dépasser les prouesses techniques de Demain ne meurt jamais, du réalisateur Roger Spottiswoode, lui-même ancien chef-monteur (ceci explique cela).

Mais l'une des séquences les plus intéressantes du film demeure cette longue partie de cartes plusieurs fois interrompue au Casino Royale. Enfin, de la tension dramatique autour d'une table de jeu dans un James Bond. Parce que avant, quand Bond rentrait dans un casino, il en ressortait forcément les poches pleines, en ayant joué les yeux bandés et les mains dans le dos.

Et vous avez souvent vu James Bond, ratissé au tapis vert, commandant un martini dry et qui, à la fameuse question du barman « au shaker ou à la cuillère ? », répond excédé « Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?»

On l'aura compris, Casino Royale ne se contente pas d'être le meilleur des 21 James Bond. Il redéfinit le genre et lui donne une impulsion nettement dramatique. On pourra aujourd'hui dire fièrement qu'on a vu un James Bond, sans passer pour un lobotomisé. Et ça, ça n'a pas de prix. Espérons simplement que le scénario du prochain Bond saura conserver cette fragilité du personnage principal, toujours interprété par l'incroyable Daniel Craig.

Pour terminer sur le choix de l'acteur qui comme chacun sait « ne ressemble pas à James Bond », je voudrais évoquer ma théorie en la matière. Contrairement à ce troupeau beuglant sur la page web mentionnée plus haut, la question de l'apparence physique et de la personnalité de James Bond est un faux problème. Je considère depuis bien longtemps que James Bond n'est pas un seul et même personnage, mais une identité d'emprunt que le MI-6 donne à un agent double-zéro, en même temps que son matricule.

Pour moi, tous les 007 en fonction ont eu pour pseudonyme James Bond. Dès lors, il est vain de chercher à comprendre pourquoi Bond ne vieillit pas (sauf Roger Moore...) et change sans arrêt de visage. Quel intérêt MI-6 aurait-il à agir ainsi ? Eh bien revoyez Princess Bride et son concept du pirate Roberts : ce n'est pas juste un nom, c'est une légende qui accompagne le personnage.

Je viens de m'apercevoir que cette théorie était également partagée par Lee Tamahori (réalisateur du décevant Bond n˚20, Meurs un autre jour) et par le scénariste-dessinateur Alan Moore (La Ligue des Gentlemen extraordinaires). Je vous renvoie à ce propos à l'excellent article Wikipédia consacré à James Bond.

De nombreux fans rejettent cette théorie en avançant que plusieurs films (dans lesquels Bond est joué par un interprète différent) font expressément mention de la mort de la femme de Bond. Pour ces détracteurs, cela suffit pour dire que Bond est un seul et même personnage.

Mais cet argument se révèle largement insuffisant. En effet, il existe selon moi une explication qui efface cette dénégation : la femme morte n'était pas la même. Car être double-zéro entraîne des conséquences pour les agents qui ont fondé une famille (avant, pendant ou après leurs fonctions de 00) : s'ils sont identifiés, ces agents peuvent faire l'objet de pressions ou de représailles de la part des ennemis. En l'espace de 45 ans, il n'y a pas qu'un seul 00 (ou ex-00) dont la femme a pu être assassinée par une puissance politique étrangère ou une organisation criminelle.

Libellés : ,

9 Comments:

  • Complétement d'accord sur la qualité de Casino Royale et sur l'interprétation. C'est sans doute possible le meilleur Bond qui soit. C'est le seul qui soit aussi fidèle aux romans.
    Par contre, c'est une peu capilotracté la théorie sur les agents anglais qui s'appellent tous James Bond. C'était la théorie farfelue de la parodie de 1967 qui s'appelait déjà Casino Royale. La boucle est bouclée.

    By Anonymous Anonyme, at 4:12 PM  

  • Bonjour et merci pour cette appréciation.
    Concernant la théorie "capillotractée", il ne s'agit pas de dire que tous les agents de MI-6 sont surnommées James Bond (comme dans le Casino Royale délirant de 1967), mais que seuls les agents qui sont COOPTÉS au poste de 007 sont surnommés James Bond (un James Bond chasse l'autre). Cela a le mérite d'être cohérent, au vu de la valse des acteurs et au fait que Bond semble rajeunir périodiquement, depuis 45 ans.

    By Blogger daneel, at 4:44 PM  

  • Je pense qu'il ne faut pas raisonné en terme d'acteurs qui se suivent dans le rôle de Bond. Ce n'est pas le plus important : ce qui l'est, c'est l'histoire, l'ambiance, les "instants" bondiens. L'acteur n'en est que le vecteur. Roger Moore aurait été très bien dans Goldfinger et Sean aurait aussi pitoyable que Roger dans Moonraker.
    Ainsi, il faut considérer chaque film en lui même et non pas comme une série. D'ailleurs très peu de films font référence aux précédents. Cela a pour avantage de ne pas faire de théorie alambiquée sur des agents anglais qui obtiendraient le nom de James Bond comme on obtient un double zéro.
    Enfin, je me demande dans quelle mesure, si n'importe quel acteur avec une "gueule" n'aurait pas pu remplacer Craig (qui est très bon au demeurant) tellement le scénario et la mise en scène de Casino Royale sont bons. Clive Owen aurait fait le même film tout aussi excellent. Bon, d'accord, peut-être pas Ben Affleck...

    By Anonymous Anonyme, at 5:01 PM  

  • Considérer chaque film en tant que tel, c'est très vrai. C'est précisément pourquoi je trouve pitoyable que de nombreux "fans" aient massacré Craig juste parce qu'il ne ressemblait pas à Pierce Brosnan.

    Mais je trouve dommage de créer une franchise de 21 films si ce n'est pas pour les relier entre eux par un certain nombre de points. Les personnages de Q ou de M, par exemple, sont intéressants de ce point de vue. Cette théorie "capillotractée", elle n'est là que dans cette optique. Mais elle n'a qu'un intérêt très limité. Pour le fun. C'est un plus. Mais ça n'empêche pas d'apprécier Demain ne meurt jamais ou L'espion qui m'aimait sans avoir vu Les diamants sont éternels ou Vivre et laisser mourir. Fort heureusement !

    Je ne suis par aileurs pas d'accord avec toi quant au caractère interchangeable des acteurs. Moore n'aurait pas été crédible dans Goldfinger (Bon, pour Connery dans Moonraker, je te l'accorde, ya pas grand chose à faire pour sauver le film...).

    Mais en ce qui concerne Craig, je pense que Casino Royale est plus physique (et plus crédible) que si ça avait été Clive Owen. J'aime bien Owen, mais il n'a pas la gueule pour tourner CE Bond. Il est plus dans le registre Timothy Dalton (que j'aimais d'ailleurs beaucoup dans le rôle).

    L'acteur n'est pas juste une silhouette qu'on met devant l'objectif pour remplir le champ. Le meilleur exemple demeure à mon avis le cas des Aventuriers de l'Arche perdue. Ce film aurait-il été aussi fabuleux avec Tom Selleck en Indiana Jones ? La réponse me semble évidente.

    Hitchcoch expliquait très bien que James Stewart et Cary Grant, ses deux acteurs fétiches, n'étaient absolument pas interchangeables. Leur physique, leur personnalité, tout les destinait à des rôles distincts. Imaginer Grant dans Vertigo ou Stewart dans La mort aux Trousses, ça fait un peu froid dans le dos, non ?

    By Blogger daneel, at 11:52 PM  

  • Quel débat !? Craig est-il un vrai Bond ? Est-ce que Sean Connery est plus proche du personnage ?…Le personne est-il un personnage ou un juste un habit d’agent secret interchangeable ?… Mais finalement : « qu’est-ce qu’on en a à foutre ? »

    Ce film est un bijou. Des scènes encore jamais vues (je pense notamment à la scène de poursuite à pieds dans le chantier) ; un jeu d’acteur rarement aussi bon (ce qui risque de rendre bien fade mes prochaines visions des épisodes antérieurs),…bref : « un putain de bon film ! » (comme dirait l’autre).

    Evidemment les puristes regretterons forcément l’aspect plus « réaliste » des scènes de combats (encore que…) et l’absence de gadget (encore qu’il y ait le défibrillateur mais enfin il n’est présenté avant)…mais là encore : est-ce regrettable ?!

    Ce film est une merveille. J’allais oublier : la scène de l’empoisonnement est à se passer en boucle (quel acteur !)

    Ps : Daneel je n’ai pas vu Munich J

    By Anonymous Anonyme, at 2:38 PM  

  • C'est clair, Casino Royale est l'un des meilleurs films de l'année. Et c'est réconfortant de pouvoir dire ça d'un James Bond sans passer pour un complet demeuré !

    Quant à ma théorie qui suscite décidément bien des remous, je le répète, c'est pour le fun, c'est juste un petit plus, comme ça, histoire d'avoir qqch sur quoi s'empoigner :-).

    Parce que sur le film lui-même (intrinsèquement, tout seul et en particulier), on est tous d'accord : c'est du grand art.

    PS : et pi d'abord, me chauffe pas, parce que, hein, quand on n'a pas vu Munich, on la ramène pas...

    By Blogger daneel, at 3:20 PM  

  • Tout à fait d'accord. Mais si j'ai pas vu Munich...moi au moins j'ai vu ce bijou de James Bond sur Grand écran...moi.

    By Anonymous Anonyme, at 4:28 PM  

  • superbe discussions les fangins, c'est comme d'hab, vu de l'exterieur on ne comprend rien.

    By Blogger tenkan54, at 3:13 PM  

  • Salut, je tombe sur ce blog un peu hasard. Bon billet, très plaisant à lire.

    Juste une remarque factuelle : même si je trouve moi aussi plaisante et ingénieuse la théorie des multiples James Bond (Bond étant comme 007 un nom de code), elle est bel et bien contredite dans les films par l'histoire de la mort de l'épouse de Bond (qui n'est pas une autre femme) : dans "Rien que pour vos yeux", dans la scène du prégénérique, Bond/Roger Moore se recueille sur la tombe, visible, de "Theresa Bond", du nom de la femme de Bond/Lazenby tuée à la fin de "Au service secret de Sa Majesté". La date de mort, de plus, est 1969 (la date de sortie du film).

    By Anonymous SM, at 7:51 PM  

Enregistrer un commentaire

<< Home