Chroniques trantoriennes

27 octobre 2006

"Nation souveraine" n'est pas un pléonasme !

Dans la série « Mon papa, il a dit ça, donc c'est vrai…», Justin Trudeau vient de nous en sortir une bien bonne, en ramenant sa fraise dans le débat qui divise actuellement le Parti Libéral du Canada.

Le fils de l'ancien Premier Ministre fédéral Pierre-Elliott Trudeau a en effet déclaré que la reconnaissance du Québec comme nation constitue une idée dépassée « qui date du XIXe siècle ». Pour lui, reconnaître dans la Constitution canadienne que le Québec forme une nation va à l'encontre de l'héritage politique de son père, qui a dirigé le pays de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984.

On a envie de lui dire : arrête un peu de psalmodier feu ton papa et pense un peu par toi-même.

Je ne suis certes pas un expert en la matière, mais il y a quand même des évidences qu'il est bon de rappeler.

Ainsi, la question n'est pas de savoir si le Québec doit être reconnu comme formant une nation. Mais plutôt de savoir si le Québec constitue une nation. Pour répondre à cette interrogation, le plus simple est encore de faire ce que certaines parties à ce débat semblent avoir négligé : ouvrir un dictionnaire.

Le grand dictionnaire de l'Office québécois de la langue française définit la nation (dans son acception politique) comme :
Un groupement humain important établi généralement sur un même territoire, partageant un sentiment d'appartenance, de même que des liens historiques, linguistiques, culturels ou religieux plus ou moins communs.

Cette définition appelle deux commentaires :

1- Une nation est un groupement humain établi sur un même territoire, mais n'est pas un territoire. Autrement dit, le Québec n'est pas une nation.

MAIS :

2-sur le territoire de la province du Québec, il existe une nation québécoise, largement majoritaire.

La nuance est d'importance. Et en s'obstinant à ne pas la faire, on risque de voir se multiplier les Jan Wong(1) en herbe !

Il convient donc de recentrer durablement le débat sur la nation québécoise au sein du Québec , et non sur le Québec en tant que nation. Mais une fois cela rappelé, une chose est certaine : le problème est plus que jamais d'actualité. Y voir une question dépassée depuis deux siècles relève d'un regrettable aveuglement révérenciel d'un fils pour son père.

Car la nation est un fait, pas un droit octroyé par les autorités. Et quoi que l'on puisse en dire, la nation québécoise existe.

Mais le reconnaître officiellement (ou plutôt l'entériner) ne signifie absolument pas que l'on fasse le lit du séparatisme. Car il ne faut pas tout confondre : le nationalisme n'est pas le souverainisme.
À l'exception de quelques rares États (notamment la France), le vocable de nation souveraine n'est pas un pléonasme.

Prenons deux exemples :

- La Belgique est un État qui abrite deux Nations : la nation wallonne et la nation flamande. Ça fait des décennies que ça dure et la partition de l'État n'est toujours pas à l'ordre du jour. Et le pays n'en est pas pour autant à feu et à sang.

- de 1949 à 1990, on comptait deux États allemands, la RFA et la RDA. Mais il n'existait qu'une seule nation allemande : et on ne peut pas dire que, à l'époque, l'unité nationale fût facile à vivre…

David Peterson l'a bien compris. Lui, l'ancien premier ministre de l'Ontario (oui vous avez bien lu, l'Ontario), déclare :
Cette reconnaissance est la seule façon de souder le pays ensemble. Cela va affaiblir le séparatisme, cela ne va pas l'alimenter. Il faut la faire, sans quoi nous risquons de perdre le Québec.

Car le nationalisme n'est pas un obstacle à l'unité du Canada. Si l'on se réfère à la définition citée plus haut, on se rend compte à l'évidence qu'il existe plusieurs nations au Canada. Simplement, le sentiment d'appartenance est à chaque fois d'un ordre différent, de même pour la nature des liens entre les membres d'une même nation.

- les Premières Nations : appartenance à une société ancestrale / liens historiques, culturels, linguistiques et religieux ;
- la nation québécoise : appartenance socio-politique / liens historiques, culturels et linguistiques ;
- la nation canadienne : appartenance politique / liens historiques et culturels.

Et c'est ce que Ghislain Picard, le président pour le Québec de l'assemblée des Premières Nations, voulait dire lorsqu'il déclarait récemment :
Je ne suis pas Canadien, je ne suis pas Québécois, je suis Innu.

Il signifiait par là qu'il n'appartient pas à la nation canadienne, ni à la nation québécoise, mais seulement à la nation innue. Qui oserait le lui reprocher, alors que c'est une évidence ?

De la même façon, un anglophone du Québec peut légitimement ne pas se sentir membre de la nation québécoise. Mais il n'éprouvera pas pour autant le besoin impérieux de s'enfuir en Ontario. Et éventuellement de crier haut et fort que tout ça, c'est la faute à la loi 101…
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(1) Jan Wong est une journaliste canadienne née à Montréal, de parents d'origine asiatique. Après avoir quitté le Québec pour l'Ontario, elle est devenue chroniqueuse au quotidien torontois Globe and Mail. Au lendemain de la récente tuerie du Collège Dawson à Montréal, elle a signé un éditorial dans lequel elle affirme que ce drame et deux autres tueries similaires survenues à Montréal en 1989 et 1992 s'expliquent par l'ethnocentrisme du Québec qui privilégie le québécois pure laine au détriment des minorités. Selon Jan Wong, cette intolérance a été confortée depuis 1977 par l'adoption de la loi 101, loi-cadre qui visait à faire du français la langue normale et habituelle de la Province. Cet article acrimonieux a valu (à juste titre!) à son auteur une volée de bois vert de la part des politiques et des médias du Québec, mais aussi dans le reste du Canada.

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