Chroniques trantoriennes

16 décembre 2006

Renaissance d'un cinéaste surfait

S'il y avait bien un réalisateur dont je n'attendais plus rien, c'était bien Woody Allen. Malgré les tentatives récurrentes de Télérama pour nous faire croire que le petit gars de Brooklyn réussit un chef d'oeuvre par an depuis 30 ans, voilà belle lurette que la sortie du Woody Allen nouveau déclenche chez moi le même intérêt que l'avènement du Beaujolais du même nom.

Il faut dire que Allen, dans son rythme effréné de tournage, a enchaîné les daubes : Meurtres mystérieux à Manhattan, Crimes et délits, Alice, Harry dans tous ses états, Broadway Danny Rose, La Rose Pourpre du Caire,...

On comprendra donc qu'au tournant du millénaire, j'avais lâché prise.

Toutefois, dernièrement, la critique était unanime pour déclarer que les deux derniers films de Allen étaient complètement différents de ces oeuvres précédentes. Alors, pourquoi ne pas retenter sa chance ? Bien m'en a pris.

Match Point (2005) et Scoop (2006) sont en effet symptomatiques d'un renouveau complet du cinéma de Woody Allen.

Londres n'y est certainement pas étranger. En situant ses films dans la perfide Albion, Allen est contraint de quitter ses atours de chroniqueur de Manhattan. Ses personnages principaux ne sont donc plus des êtres névrosés dans un quotidien sans surprise, mais au contraire des pages blanches plongées dans un univers inconnu.

On trouvera ainsi de nets points communs entre les deux films :
  • le hasard à l'oeuvre dans les rues de Londres
  • la haute bourgeoisie anglaise,
  • le manoir,
  • le coup de foudre entre bourgeois anglais et américains fauchés,
  • la salle du secret,...
Et bien d'autres que l'on n'évoquera pas pour des raisons évidentes.

Dans Scoop, on retrouve Woody Allen incarnant un personnage névrosé à l'extrême comme on l'a déjà vu 100 fois dans ses films précédents. Mais il a l'intelligence d'en faire ici un personnage secondaire, colorant un récit plus accessible et qui renoue avec une fantaisie moins artificielle. En effet, alors que le fantastique plombait (entre autres) Alice, Scoop renoue brillamment avec la fantaisie qui faisait le charme de Comédie érotique d'une nuit d'été (un des films de Allen les plus sous-estimés). Comédie policière surprenante (quoi que pas exceptionnelle), elle amorce clairement une nouvelle approche du genre, à mille lieues du Scorpion de Jade ou de Crimes mystérieux à Manhattan. Qui s'en plaindra ?

Mais le plus frappant demeure sans le moindre doute possible son film précédent. Dans Match Point, Woody Allen n'apparaît pas à l'écran et on en déduira fort justement que l'on n'est plus dans le registre comique.

Et ce n'est pas a priori dans le drame qu'il est le plus à son avantage. Allen a en effet traîné son influence bergmannienne durant trente ans sans vraiment convaincre. Au vu de Match Point, on peut affirmer qu'il s'est enfin débarrassé de la statue du Commandeur.

Quoi de plus casse-gueule pour un auteur en fin de carrière qu'un drame de l'adultère ? On sentait venir à grands galops les excès de pathos de Intérieurs ou Hannah et ses soeurs. Sans compter son inévitable train de poncifs.

Et là... miracle. Match Point n'est pas seulement le meilleur film de Woody Allen depuis Annie Hall (en 1977 !). C'est un drame poignant, un suspense psychologique insoutenable, un véritable OVNI dans la filmographie de Allen. Et il faut se pincer pour s'assurer que c'est bien son nom qui figure en tête du générique.

Le choix de l'acteur principal est prodigieux. Avec sa gueule d'ange, il est le vecteur d'un malaise insondable qui va crescendo tout au long du film. Woody Allen nous manipule magnifiquement et ce, sans jamais tricher. Il remporte la partie haut la main et amorce une sacrée remontée au classement de l'association des cinéastes professionnels.

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