Chroniques trantoriennes

11 août 2007

Du grand "Art"

Je viens de relire pour la 257ème fois « Art » de Yasmina Reza. Et comme d’habitude, à chaque nouvelle lecture, le charme opère encore et toujours, avec la même intensité. La pièce marque sans doute le point d’orgue d’une carrière de dramaturge.

Yasmina Reza se fait connaître en 1984, avec sa pièce Conversations après un enterrement qui ressemble à du Tchekov mal ficelé. Implicitement, le titre dit tout : personnages diaphanes, situations dramatiques quasi-inexistantes. La pièce ne sera jouée pour la première fois qu'en 1987.

En 1989, dans La traversée de l’hiver, on pense là encore aux auteurs classiques russes, mais cette fois, la qualité est au rendez-vous.

En 1994, elle publie L’homme du hasard. La pièce montre deux personnages dans un compartiment de train qui n’échangent quasiment aucune parole durant le trajet mais s’expriment par monologues intérieurs, sensés se répondre au fur et à mesure que la pièce avance. Au bout du compte, c’est nombriliste (l’un des personnages est un écrivain et le titre de la pièce est aussi celui du livre dont il est question dans la pièce. Argh ! Le cliché !), saupoudré de références littéraires dont j’ignore tout de l’adéquation avec la situation dépeinte. Le résultat est long, auteurisant et, pour tout dire, sans intérêt. Je ne suis pas le seul à le penser : personne ne voudra alors de la pièce.

La même année, Yasmina Reza écrit en un mois et demi (!) « Art ». Elle livre là son chef d’œuvre.

Vous n’aimez pas lire des pièces de théâtre ? Vous allez changer d’avis. Le texte se lit en 40 minutes montre en main et c’est rien que du bonheur.

Vous n’aimez pas le théâtre filmé ? Vous allez changer d’avis. On trouve en vidéo une représentation de la pièce à sa création, mise en scène par Bernard Murat et interprétée par Pierre Vaneck, Fabrice Lucchini et Pierre Arditi. C’est tout simplement fabuleux.

En fait, la pièce est d’une telle puissance que tous les média ne peuvent que lui rendre justice.

« Art » raconte comment l’amitié de 3 hommes est mise à mal lorsque l’un d’entre eux achète pour une petite fortune un tableau d’art contemporain. Je laisse à Marc (Pierre Vaneck) et Serge (Fabrice Lucchini) le soin de vous présenter l’élément déclencheur.

La façon dont Yasmina Reza a capté la psychologie de ces hommes, deux quadra et un quinquagénaire, est tout simplement prodigieuse. L’auteur tire brillamment partie d’un postulat élémentaire du théâtre : le triangle de personnages. Vous vous souvenez de Huis-Clos ? Sauf que la machine sartrienne tournait à vide. Une situation et deux répliques-culte ne font pas une pièce de théâtre.

« Art » est d’un tout autre acabit. C’est drôle, enlevé, intelligent tout en restant intelligible. Parfaisant le cheminement psychologique des personnages, les ultimes tirades s’avèrent particulièrement émouvantes.

En quelques mois, « Art » s’est ainsi imposé comme l’une de ces pièces manquantes au puzzle du théâtre populaire. Celles qui réconcilient le grand public avec une forme artistique majeure, où le divertissement côtoie la profondeur.

Contrairement à ce qu’en dirait le personnage de Serge, « Art » n’est pas « modernissime ». C’est un classique. Un vrai.

Surfant sur la vague Reza, L’homme du hasard intéresse subitement les producteurs. La pièce est montée en 1995. Cette piètre tentative de donner un ton théâtral à un pseudo-roman annonce la nouvelle carrière de la dramaturge : elle sera dramaturge et écrivain intellectuel français. Elle y gagnera un nouveau lectorat. Elle en perdra un autre. Je suis de celui-là.

Libellés :

1 Comments:

  • Et en 2007, elle publie l'ombre, le soir ou la nuit...Livre assez convaincant malgré le personnage principal qui n'est autre que notre cher ( ironie ) Sarkozy...Je viens de découvrir ton blog, et c'est parfois "du grand art"...Enfin, faudrait pas que tes chevilles enflent, donc disons que c'est intéressant.

    By Anonymous Anonyme, at 11:14 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home