Chroniques trantoriennes

08 octobre 2007

Accomoder avec la réalité

Il y a des jours, comme ça, où le politicien ferait mieux de la fermer. Bon, d'accord, c'est vrai la majeure partie du temps. Mais parfois, il gagnerait vraiment à rester chez lui, débrancher le téléphone et l'internet, prendre deux anxiolytiques et attendre que la crise passe.

Dernière victime du syndrôme, la semaine dernière, M. Jacques Lemay, député et porte-parole du Parti Québécois en matière d'immigration. Dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, il accuse le gouvernement fédéral d'être la cause de la multiplication des demandes d'accommodements raisonnables :

[Les immigrants] arrivent dans une société francophone qui veut intégrer davantage sa population immigrante, mais de l’autre côté, le Canada prône le multiculturalisme. (...) Quand vous êtes dans un état dont le fondement est le multiculturalisme, qui exacerbe les différences, dont les différences religieuses, ce n’est pas étonnant qu’il y ait autant de demandes d’accommodements. (...) Si le Québec était un pays, il enverrait clairement le message aux immigrants qu’il est un État francophone, dont l’espace public est laïc et qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes.

Ah, ce gouvernement fédéral, c'est sûr, c'est à cause de lui si ça part en vrille. Forcément. Sauf que...

1 - M. Lemay semble oublier qu'il y a au Québec un machin... Comment ça s'appelle déjà ?... Ah oui, un ministère. Un ministère provincial de l'immigration, dit Immigration Québec. À quoi ça sert-tu, cette patente ? En deux mots, il se trouve que la province du Québec a obtenu du vilain-pas-beau gouvernement fédéral, à titre dérogatoire, le droit de choisir ses immigrants. C'est la procédure dite du Certificat de sélection du Québec. Une fois passé sous les fourches caudines d'Immigration Québec, le postulant à l'immigration n'a plus qu'à suivre une procédure allégée auprès d'Immigration Canada, portant uniquement sur le contrôle de son état de santé et de sa situation dans les fichiers de police de ses précédents pays de résidence.

Cela signifie que c'est bien Immigration Québec qui choisit ses immigrants, et non le vilain-pas-beau gouvernement fédéral.

2 - Il a été clairement établi que le Québec constitue une anomalie dans le système d'immigration canadien, en ce sens qu'il est plus facile pour les immigrants d'entrer légalement au Canada en passant par le système officiel québécois. Et pas seulement pour les francophones !

Or, il se trouve que le multiculturalisme est un aspect continuellement mis en avant par Immigration Québec. L'administration espère vraisemblablement que les non-francophones vont se mettre subitement à apprendre une langue étrangère - de surcroît difficile d'accès - en signe de reconnaissance.

La réalité est tout autre. En fait, on dénombre quantité d'immigrants non francophones qui immigrent au Québec pour aller s'installer rapidement dans d'autres provinces.

Par ailleurs, le Québec a cruellement besoin de l'immigration pour pallier une démographie moribonde. Or, il faut se souvenir que 2006 a été une année charnière sur le plan de la natalité : pour la première fois dans la province, le nombre des naissances d'enfants issus de parents immigrants a dépassé celui des naissances d'enfants issus de parents canadiens au Québec. Ça donne une idée...

Ce qui signifie que le Québec aura toujours besoin d'immigrants qu'ils soient francophones ou non. Et que si Immigration Québec se mettait à faire ce que M. Lemay prescrit en disant aux candidats à l'immigration "chez nous, on parle français, on ne tolère pas les inégalités homme-femme et on est une province laïque", on ne pourrait pas mieux s'y prendre pour flinguer la politique d'immigration du Québec.

Maintenant, de deux choses l'une :
  • soit M. Lemay ignore vraiment ces éléments. Auquel cas, il faut qu'il change illico d'affectation au sein du groupe PQ au Parlement;

  • soit il est au courant, ce qui, de la part du chargé des questions d'immigration au PQ, serait tout de même plus réconfortant pour la population québécoise. Dans ce cas, comment appelle-ton quelqu'un qui pense une chose et qui dit le contraire ?

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07 octobre 2007

Le changement de paradigme n'est pas pour demain

Il y a de cela quelques semaines, le GEMPPI, association de lutte contre les sectes sise à Marseille, publiait un communiqué de presse symptomatique des errements du landerneau anti-sectes français. Le président de l'association marseillaise, M. Didier Pachoud, y réagissait à un récent arrêt rendu par la Cour d'appel de Rouen. La juridiction venait en effet de condamner pour diffamation Mme Catherine Picard, présidente de l'UNADFI (principale association homologue). Dans une entrevue accordée à La Dépêche d'Evreux en octobre 2005, la conseillère régionale de Haute-Normandie avait en effet déclaré :
[Les Témoins de Jéhovah sont] structurés de manière pyramidale, comme tous les mouvements mafieux.

Je connais personnellement Mme Picard. Je suis très critique (et nous en avons déjà parlé ensemble) envers la loi du 12 juin 2001 sur les mouvements sectaires qu'elle a initiée et qui porte son nom. Cela ne m'empêche pas de trouver très courageuse sa décision de reprendre les rênes de l'UNADFI il y a quelques années, alors que l'association traversait une pénible période de luttes intestines qui avaient bien failli avoir raison de son existence. Mme Picard s'est retrouvé dans une situation qui ne lui a pas attiré que des amis et qui la place plus souvent qu'à son tour entre le marteau et l'enclume.

Mais ce genre de citation n'est certainement pas de nature à améliorer sa position. Il va bien falloir se décider à laisser tomber ces phrases à l'emporte-pièce qui donnent aux mouvements sectaires un boulevard judiciaire pour obtenir la condamnation de leurs détracteurs.

Cela nous conduit à l'argument de la Cour d'appel de Rouen qui a suscité le courroux du GEMPPI. Pour appuyer leur démonstration de la mauvaise foi de Mme Picard, les juges normands ont relevé que les Témoins de Jéhovah bénéficient du statut d'association cultuelle, fait que l'élue n'ignorait pas. L'association marseillaise voit dans cette décision rien moins que « la remise en cause du système de laïcité français » :
Les sectes utilisent l'octroi d'avantages fiscaux aux associations cultuelles que plusieurs de leurs structures ont reçu (sic) comme une reconnaissance officielle des institutions françaises de leurs associations comme des religions. Le pire c'est que les tribunaux interprètent eux-mêmes ces avantages octroyés comme une reconnaissance officielle des témoins de Jéhovah comme religion.

Il s'agirait d'être précis dans les termes employés. En effet, si une association d'information sur les sectes ne l'est pas, qui le sera ? La Miviludes (1) ? Non, je plaisante...

Les associations cultuelles ne sont pas des religions. La religion est une idée, un concept partagé par une communauté. La liberté de religion est un aspect de la liberté absolue de pensée.

L'église est pour sa part une assemblée de personnes qui se réunissent pour exprimer leur foi religieuse et ce, sous la forme d'un culte. La liberté de pratiquer ce culte est une composante de la liberté d'expression.

Quant à l'association cultuelle, il s'agit d'un groupe de personnes qui s'assemblent dans le but exclusif de subvenir à l'entretien d'un culte et ainsi de permettre aux fidèles de pratiquer ce culte.

En conséquence, relever qu'une organisation dispose du statut d'association cultuelle ne revient pas à conférer à ce groupe le statut de religion. Et pour cause : un tel statut n'existe pas en droit français. Les associations d'information sur les sectes feraient mieux d'intégrer sérieusement ce point dans leur stratégie de communication, plutôt que de pousser des cris d'orfraie dès qu'un juge prononce « association cultuelle ». Ainsi, selon le président du GEMPPI, la jurispruence initiée par la cour rouennaise :
...risque fort d'amener la France à concéder ces avantages à tous les groupes se constituant en association loi 1905 au nom de l'égalité de traitement, relativement à nos lois et avoir gain de cause, en cas de résistance des autorités françaises, devant les tribunaux européens. C'est une brèche que les sectes ne manqueront pas d'exploiter. (...) De plus, si l'Etat français "ne reconnaît et ne subventionne aucun culte", ces avantages fiscaux concédés aux uns, par rapport à d'autres qui ne les ont pas, peuvent être compris comme une forme de reconnaissance.

Le GEMPPI estime donc que l'État, en n'accordant des avantages fiscaux qu'à certains groupes, érige une discrimination entre les associations cultuelles et les autres associations. Une nouvelle fois, on constate l'incompréhension totale de la notion d'association cultuelle dans l'Hexagone, de la part d'une organisation qui devrait la connaître sur le bout des doigts.

Ainsi, en vertu du régime déclaratif qui préside à la création d'une association-loi 1901 en France (2), l'association est officiellement créée dès le depôt de ses statuts en (sous-)préfecture, pourvu que son objet déclaré ne soit pas illicite. Il en va de même pour les associations-loi 1905, qui sont des associations-loi 1901 un peu particulières. Ainsi, l'association cultuelle est créée dès le dépôt de ses statuts en (sous-)préfecture. A la condition que son objet déclaré consiste exclusivement en la pratique et/ou l'entretien d'un culte et que ces statuts mentionnent un nombre déterminé de membres fondateurs (3).

Dès lors, à peu près n'importe qui peut créer une association cultuelle et se prévaloir légalement de cette appellation tout-à-fait officielle. Par conséquent, n'importe quelle association cultuelle est éligible à demander une autorisation pour recevoir des dons et legs. Il lui suffit d'en faire la demande en préfecture. Et si l'enquête administrative établit que cette association :
  • a effectivement pour objet exclusif la pratique et/ou l'entretien d'un culte,
  • ne trouble pas l'ordre public,
elle peut obtenir le versement de ces dons et legs. C'est aussi bête que cela !

Le droit protège les sectes ? Si leurs détracteurs institutionnels s'intéressaient un minimum à la question, ils s'apercevraient que ce même droit s'applique à tous. Les Témoins de Jéhovah ont le droit de recevoir des dons et legs ? Qu'à cela ne tienne : votre Association cultuelle du Conseil des Jedi pour la Maîtrise de la Force, association-loi 1905, peut elle aussi s'en prévaloir ! Il suffit d'écrire un courrier à la préfecture... Alors, de grâce, arrêtons de verser dans le sensationnalisme et la théorie du complot.

Mais le président du GEMPPI va encore plus loin : il réclame que les avantages fiscaux octroyés dans le cadre de la loi de 1905 ne le soient qu'aux associations « qui l' (sic) obtinrent au départ ». En fait, ce qu'il veut dire sans oser l'écrire explicitement, c'est qu'il faudrait limiter l'application de la loi de 1905 aux associations cultuelles catholiques, voire protestantes. Autrement dit, lorsqu'elle s'applique aux sectes, la loi de 1905 rompt l'égalité républicaine. Mais pas quand elle ne s'applique qu'aux groupements chrétiens ! Bref, sans bien s'en rendre compte, M. Pachoud demande rien moins que l'abrogation de la loi de 1905. Mais ce faisant, on couperait les vivres aux institutions catholiques et protestantes. L'idée est alléchante, mais je ne pense pas qu'elle soit du goût de M. Pachoud. Dommage...

Le président du GEMPPI s'en prend ensuite à la notion de trouble à l'ordre public qui « est si floue qu'elle est difficilement exploitable ». Il souhaite que le concept soit clairement défini... sans pour autant se perdre dans les détails. L'idée est étonnante et elle mériterait à n'en point douter quelques explications.

En premier lieu, comment M. Pachoud entend-il préciser une notion sans la détailler ? Ensuite, s'il est vrai que le trouble à l'ordre public est une notion juridique à géométrie variable, il n'en demeure pas moins que tous les juristes s'accordent sur un point : le trouble à l'ordre public, c'est a minima la commission d'une infraction pénale.

Alors, M. Pachoud, au lieu de brailler "La loi est mal faite ! La loi est mal faite !", vous seriez mieux inspiré de chercher à la connaître et d'orienter votre action associative en conséquence. Quel trouble à l'ordre public peut-on reprocher aux Témoins de Jéhovah ?

  • De faire du porte-à-porte insistant ? Non.
  • De vendre des revues niaises aux illustrations qui semblent sorties d'un magazine des années 30 ? Non.
  • De ne pas porter à la connaissance des autorités des agressions sexuelles sur mineur ? Il y a là matière à s'interroger car la non-dénonciation de crime ou de mauvais traitements à enfant est un délit (articles 434-1 et 434-3 du Code pénal).
  • De faire pression sur un adepte hospitalisé nécessitant des transfusions sanguines pour qu'il refuse ce traitement, au risque d'en mourir ? N'y aurait-il pas là provocation au suicide (articles 223-13 et suivants du Code pénal) ?
Ne serait-il pas plus intéressant de faire réaliser des études juridiques, par des universitaires ou des praticiens du droit, afin de déterminer si oui ou non, les Témoins de Jéhovah troublent l'ordre public de cette façon ?

On a beaucoup critiqué Jean-Louis Langlais alors qu'il était président de la MIVILUDES, en soulignant son inaction sur le terrain. À raison. Mais ce que l'on ignore, c'est que ce haut-fonctionnaire était arrivé à la tête de la mission avec une foule d'idées proprement révolutionnaires, si on les compare à celles consternantes de son prédécesseur, le Monsieur-je-sais-tout-sur-les-sectes, j'ai nommé l'autocrate Alain Vivien. M. Langlais avait notamment la volonté de créer des liens privilégiés avec les facultés et de proposer des bourses d'études pour la réalisation de travaux universitaires sur le phénomène sectaire. Mais après s'être fait remonter les bretelles par Matignon (« Jean-Louis, t'es là seulement pour calmer le jeu ! »), les seuls liens que lui et la MIVILUDES allaient entretenir avec le milieu universitaire se limiteraient à faire intervenir des sociologues et historiens prosectaires patentés - enseignant dans deux écoles dites de Hautes Études - dans un séminaire officiel portant l'estampille "approuvé par le gouvernement français"(4). Bravo pour la bourde !

L'idée originelle de Jean-Louis Langlais demeure d'actualité et elle constitue à mon sens le seul moyen de se sortir des vieilles ornières institutionnelles qui consistent à parler des sectes par généralités entendues mille fois et susceptibles de condamnation pour diffamation. Malheureusement, ni la MIVILUDES, ni l'UNADFI et consorts ne semblent disposer à changer de paradigme.

Entre les Haro sur les sectes lancés tous azimuts par les associations, d'une part, et les Tout va très bien, Madame la Marquise des sociologues aveugles, sourds et malheureusement pas muets de l'Ecole pratique des hautes études d'autre part, il existe une troisième voie.

Les sectes nocives sont une réalité. Mais arrêtons de le hurler. Prouvons-le.
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(1) Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.

(2) A l'exception des trois départements d'Alsace-Moselle.

(3) Ce nombre est fonction de la population de la commune dans laquelle l'association cultuelle établit son siège.

(4) Séminaire Sectes & laïcité, MIVILUDES & Ministère de la Recherche, 2003-2004.

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