On croyait avoir tout dit sur les commissions parlementaires consacrées aux sectes. La compétence de leurs membres, l'à-propos de leurs conclusions, la profonde démarche réflexive qui les caractérise... Il ne manquait plus que Gérard Miller et tout ce petit monde pouvait passer à
On a tout essayé, émission de télé que le monde entier nous envie.
Mais apparemment vexés que l'on ne parle plus assez d'eux dans la presse, nos chers députés de la commission d'enquête sur les sectes et l'enfance ont tenté une sortie sur le terrain. Dans le cadre des «
pouvoirs d'enquête sur pièce et sur place du rapporteur » (on est prié de ne pas pouffer de rire), voilà notre petit monde propulsé dans l'inconnu : la vie réelle. Le carré d'as de la commission (président, vice-président, secrétaire et rapporteur ; que le dernier ferme la porte) est donc aller rendre une petite visite de courtoisie à la communauté de
Tabitha's Place, à Sus-Navarrenx, près de Pau (Pyrénées atlantiques).
La descente de députés a été
relatée par le quotidien
Le Monde, qui reprend
in extenso une dépêche de l'AFP (tiens, c'est bizarre, je croyais cette
détestable pratique l'apanage de la vilaine-vilaine-vilaine presse gratuite).
Officiellement, nos trois mousquetaires (qui étaient quatre, comme chacun sait) se rendaient sur place pour enquêter sur 14 enfants non scolarisés, vivant dans la très recluse communauté apostolique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que si l'on a pas encore touché le fond, on s'en approche de manière asymptotique.
Je cite l'article :
[Les députés] disent avoir constaté que les enfants savaient lire mais qu'ils ne restituaient pas convenablement le sens de ce qu'ils avaient lu. Ils ne sont pas vaccinés, n'ont pas de contacts avec les enfants extérieurs à la communauté, ignorent internet, le cinéma, la télévision et ne sortent qu'occasionnellement pour accompagner leurs parents quand ils vendent sur les marchés les produits du jardin, selon la même source.
La vache, ça fout les jetons ! Parce que, partout en France, tous les enfants savent parfaitement lire ! C'est bien connu, l'échec scolaire, au pays des droits de l'homme, ça n'existe pas.
Quant au manque de contact avec les enfants de l'extérieur, l'absence d'internet, du cinéma, de la télévision, les députés sont-ils allés visiter les écoles privées musulmanes et juives intégristes en plein Paris ? Ils auraient de quoi faire des bonds de cabri !
Mais le plus drôle (enfin, si l'on prend le parti d'en rire) concerne les questions «hors programme scolaire » que nos très branchés députés ont posé aux enfants. Et là, stupéfaction.
Ils ne connaissent ni Zidane, ni les Beatles, ni aucun chanteur actuel.
Ils ne connaissent pas Zidane ! Le crime de lèse-majesté française suprême. Ils ne savent pas taper dans un ballon ni donner un coup de tête ! La décadence est à nos portes, Msieu-Dames !
Je sens que je vais encore me faire des copains mais bon, je crois pouvoir dire qu'il y a des centaines de millions d'enfants dans le monde qui ne connaissent pas Zizou. Imaginez le drame. La faim, les guerres, les épidémies, c'est bien peu de choses comparé à cette situation dont les médias ne parlent pas assez. Vite, envoyez vos dons à l'association Zidane sans frontières. Grâce à cet argent, nous enverrons des cartons remplis de fanions du Real de Madrid, de posters et de photos dédicacées de l'idole déchue. Pour que les enfants du monde qui ont faim, froid et peur trouvent du réconfort dans la contemplation de notre icône franco-algér... euh franco-française.
Quant aux Beatles, je pense qu'on peut trouver environ 10 millions de gamins bien de chez nous qui ne les connaissent pas. Allo, les députés ?... Oui, les Beatles, ça n'existe plus depuis trente ans. Comment ? ... Ah non, les phonographes, on n'en trouve plus dans les magasins aujourd'hui. Vous dites ?... Non, les disques ça s'appelle des CD... Oui, c'est plus petit et ça brille...
Mais ce qui me désespère le plus, c'est que ces enfants ne connaissent « aucun chanteur actuel ». Les pauvres ! Imaginez plutôt : ils ignorent jusqu'au concept de Vincent Delerme, Benjamin Biolay, Mickey 3D et de la Star Ac' ! Et ils n'ont jamais entendu de rap de leur vie ! Ces enfants sont la lie de l'humanité.
Le D'Artagnan de la commission a assuré que celle-ci ferait des propositions pour que « les pouvoirs publics puissent libérer ces enfants de l'enfermement psychologique ». Ben oui, là, c'est urgent...
Et notre gascon de service d'ajouter que scolariser les enfants à domicile, c'est légal et que l'on n'a pas constaté de maltraitance physique sur les enfants, qui sont à peu près en bonne santé.
Bref : la communauté de Tabitha's place est dans la légalité mais elle est super-dangereuse.
Merci donc à nos chers députés, pour avoir fait passer ce message dont vont pouvoir se repaître les sectes : la commisson n'a pas de grain à moudre mais elle nous sort quand même sa farine anti-sectes.
Après Dumas, convoquons Rostand (eh ! c'est mon blog, je convoque qui je veux). Sur Tabitha's Place :
Ah ! non ! c'est un peu court, vieux hommes !
On pouvait dire... Nom de Dieu !... bien des choses en somme...
(et tant pis pour les douze pieds)
Tout d'abord, on nous dit que les enfants ne sont pas vaccinés, mais bon c'est pas grave parce qu'ils sont en bonne santé. Et pi surtout c'est pas grave parce que la non-vaccination, c'est illégal.
Hein ? Ah ben oui, c'est vrai dis donc ! On l'avait pas remarqué celle-là ! Ben non, les députés non plus d'ailleurs. Ils cherchent la bébête juridique mais celle-là, qui se voit autant que Gérard Miller dans un colloque de psychiatres, ils ne la relèvent même pas !
Mais surtout, le plus grave c'est que les députés se déclarent émus et secoués par leur visite. Autrement dit, ils ont découvert Tabitha's Place ! HéééééééééééééééééHoooooooooooo ! On se réveille ! La communauté Tabitha's Place de Sus-Navarrenx est connue depuis dix ans. Elle a défrayé la chronique judiciaire à plusieurs reprises.
En 2002, la Cour d'appel de Pau a condamné à 300 € d'amende et six mois de prison avec sursis 19 membres de la secte pour refus de scolarisation et de vaccination, notamment.
Par conséquent, si, au lieu de soigner leur image médiatique, les trois mousquetaires avaient activé leur relais dans l'appareil politique et judiciaire (le président de la commisson est un ancien juge d'instruction qui a traité l'affaire de la Scientologie à Lyon), ce n'est pas des VRP de la lutte anti-sectes en charentaises qu'on aurait envoyé à Sus, mais la police judiciaire. Une nouvelle condamnation pour défaut de vaccination, et on pourrait faire tomber le sursis.
Rappellons quand même qu'en 2001, la cour d'assises d'appel des Hautes-Pyrénées a condamné à 12 ans de réclusion criminelle un couple d'adeptes de la communauté pour avoir laissé mourir leur enfant âgé d'un an et demi, en acord avec les préceptes de la secte qui refuse la médecine des hommes. Deux responsables du groupe avaient également été mis en examen pour non-assistance à personne en danger.
Depuis ce drame survenu en 1997, le juge des enfants de Pau a ordonné à plusieurs reprises des mesures d'assistance éducative pour la cinquantaine d'enfants vivant dans la communauté. Et je passe sur les non-représentations d'enfant, et les gamins retenus au sein du groupe malgré des décisions judiciaires.
Bref, on le voit une organisation apostolique tout ce qu'il y a de plus sympathique !
Il y a peut-être autre chose à faire que d'envoyer une délégation de Men in Grey de l'Assemblée nationale et une cohorte de journalistes dans la gadoue, juste pour dire au peuple françois : dormez braves gens, les députés veillent.
On va me répondre : Ah oui, mais bon, si on doit passer par la justice pour régler le problèmes des sectes, on ne s'en sort plus. Par la voie politico-médiatique, ça se passe tellement mieux.
Quant à la loi du 12 juin 2001, cette panacée législative que les Belges nous envient (au point qu'ils se sont fait la même, c'est pour dire...), ben tiens, étrangement, personne n'en parle pour Tabitha's Place. Normal. Une fois de plus, elle est inapplicable ! Ah ben c'est ballot.
Ah oui. Un dernier mot à destination de la MIVILUDES : il va falloir ouvrir un nouveau dossier. Sur l'étiquette, vous écrivez : T-A-B-I-T-H-A-apostrophe-S - plus loin - P-L-A-C-E.
Ensuite vous mettez la dépêche AFP dedans et vous rangez le dossier sous l'étagère. Oui, celle-là, la poussièreuse.